Myriam Dion
Dentelière du chaos
Étiolements, la dernière exposition de Myriam Dion, propose des œuvres délicates dont la fragilité et la complexité obligent à ralentir la lecture que nous faisons du monde, de toutes les images qui nous bombardent et ultimement, des œuvres qui nous sont proposées.
En plein centre, divisant la galerie en deux, un écran de papier tombe du plafond. Il est composé de rectangles ajourés suivant des motifs complexes d’inspiration proche-orientale. Les grands papiers japonais découpés, comme de la dentelle, reproduisent les motifs d’un ouvrage architectural, ménageant une porte d’entrée pour que le visiteur puisse y pénétrer. Sur le mur du fond, les mêmes motifs se répètent. Mais cette fois-ci, ils ne sont pas en papier : ils résultent de l’impression au pochoir des papiers découpés, reportée directement sur le mur de la galerie. Pour clore cet espace suggéré et augmenter son effet enveloppant, sur les deux côtés restants, les ombres projetées de l’écran de papiers découpés reproduisent le motif directement sur les murs. Cette installation immersive est aussi saisissante d’efficacité que de simplicité. On comprendra ultérieurement qu’il s’agit de l’évocation de la grande mosquée d’Alep saccagée lors des combats qui ont sévi dans cette ville aujourd’hui sinistrée. Néanmoins, cette installation représente une agréable et percutante surprise de la part de l’artiste, qui transfigure la nature contemplative de son travail sous la forme d’une œuvre installative.
Myriam Dion est une dentelière. Ses œuvres, habituellement réalisées à partir des pages imprimées des quotidiens d’information – comme Le Devoir et le New York Times – sont réalisées suivant la technique chinoise de papier découpé appelée jiangzhi, une tradition millénaire. Le graphisme des pages de journaux sert de point de départ à des compositions complexes, engageant l’artiste dans une longue période de production, toutes ses œuvres étant entièrement découpées à la main avec un X-Acto.
Dans l’espace qui n’est pas occupé par l’installation sont présentées des productions récentes. On peut y admirer deux œuvres d’assez grand format, qui nous rappellent des tapis orientaux, sertis dans un encadrement qui en magnifie le luxe et l’exotisme. L’ensemble évoque un univers domestique inaccessible. En s’approchant, on constate que l’œuvre est constituée de journaux découpés, ajourés et assemblés pour former un motif propre à un tapis oriental. Les portions de journaux imprimés ont été soigneusement sélectionnées, comme toujours, par l’artiste afin d’attirer l’attention sur l’actualité. Dans ce cas-ci, elle a utilisé le journal imprimé non seulement pour les informations qu’il véhicule, mais aussi pour ses qualités formelles : le graphisme et la couleur qu’on trouve dans les annonces publicitaires. Bien sûr, les éléments reconnaissables demeurent suggestifs, sans jamais conserver leur intégralité. Ce procédé provoque une distance entre le sujet et l’objet, objet qui prend tout son poids dans ce traitement d’apparence léger.
Quelques œuvres de plus petit format intègrent d’autres techniques inédites dans le travail de l’artiste. Ici la superposition, le collage et le pliage s’ajoutent au découpage. Les petits formats ainsi réalisés s’agrémentent de papiers aux couleurs vives insérés dans la composition, enrichissant encore la matérialité des objets et des matériaux dans les compositions.
Dans le contexte du conflit syrien, les créations de Myriam Dion en reflètent l’actualité, comme tout son travail le fait de façon obligée : la matière première privilégiée par l’artiste étant les pages des quotidiens. Cet ancrage dans le présent des productions – matérialisées avec le papier imprimé, support d’un média en voie de disparition – questionne les frontières du monde tout en dressant des murs de protection. L’artiste tente d’apprivoiser ce fil de nouvelles en le décortiquant, dans un geste chirurgical qui nous en distancie. À grand renfort de poésie, Myriam Dion nous invite à un moment d’arrêt, à un court instant de détachement pour peut-être trouver un peu de paix dans le recueillement.
Myriam Dion Étiolements
L’Œil de Poisson, Québec
Du 5 mai–4 juin 2017
Galerie Division, Montréal
Automne 2017