Gendre de Louis-Joseph Papineau, chef des Patriotes père d’Henri Bourassa, fondateur du Devoir élève de Théophile Hamel et maître de Louis-Philippe Hébert, Napoléon Bourassa (1827-1917) était jusqu’ici resté dans l’ombre de son illustre entourage. Les quelque 160 œuvres de l’exposition Napoléon Bourassa. La quête de l’idéal, dont plusieurs n’ont jamais été montrées, ainsi que le catalogue imposant qui les accompagne, rapellent la figure d’un artiste aux talents multiples qui a marqué la vie culturelle et intellectuelle de son époque.

À quelques exceptions près, bien peu d’œuvres de la production de Napoléon Bourassa ont fait l’objet d’une large diffusion après sa mort en 1917. Même lorsqu’en 1941 la succession donne au Musée de la province de Québec (aujourd’hui le Musée national des beaux-arts du Québec) l’impressionnant fonds d’atelier de 400 tableaux, études et dessins, rien n’est fait. Longtemps ignoré de l’historiographie officielle – par incompréhension ou par désintérêt pour la période –, cet héritage artistique subsistera d’abord grâce aux efforts de mémoire de ses filles Adine et Augustine, de leur nièce Anne Bourassa (fille d’Henri), et enfin grâce à un timide regain d’intérêt chez les chercheurs et historiens d’art au détour des années 1970.

Ceux-ci contribueront surtout à atténuer le jugement sévère de Gérard Morisset, qui voyait dans le style académique de Bourassa un art plus cérébral qu’inspiré, davantage porté sur la technique que sur l’expression.

Rigoureux et perfectionniste, cela oui ! L’agencement chronologique de l’exposition tend à le démontrer à travers les différents thèmes abordés dans sa peinture de chevalet (1855-1870), les grands chantiers décoratifs (1870-1890) et les projets architecturaux (1890-1904), puis avec L’Apothéose de Christophe Colomb (1905-1912), l’œuvre d’une vie.

Académique avant tout

En 1855, Napoléon Bourassa revient d’un séjour d’études de trois ans en Europe. À Florence et à Rome, il découvre la magnificence de l’art italien. Il s’ouvre aussi à de nouvelles influences, dont celle du peintre français Dominique Ingres, perceptible dans le fameux portrait-monument de Louis-Joseph Papineau, considéré comme un chef-d’œuvre du genre.

Bien qu’il brosse plusieurs portraits inti­mistes (ses parents, son épouse et ses enfants) – dont on retient les beaux pastels d’une touchante sensibilité – et d’autres, plus convenus, de nombreux membres du clergé et de personnalités en relation avec son beau-père en s’aidant souvent de photographies, l’artiste se montre peu enclin à se consacrer uniquement à cette activité alimentaire.

Pas plus d’ailleurs qu’au paysage auquel il s’adonne pour le plaisir lors de séjours en famille à Montebello et qu’il qualifie de « jolis petits riens ». Il laissera bien quelques scènes de genre au goût du temps dont Les petits pêcheurs et, sur un ton plus tragique, La Misère, deux huiles connues.

Les grands accomplissements

Le portrait de commande, tout comme la composition religieuse, par la copie de maîtres européens, constituent le principal gagne-pain des artistes canadiens-français de la deuxième moitié du XIXe siècle. L’exécution de rares tableaux d’église, tels La Mort de saint Joseph (vers 1865) et La Déposition de la Croix (1866-1867), un sujet jugé sans équivalent au pays, prouve que, malgré ses réticences à s’engager dans la « copie servile », Bourassa n’échappe pas à la tradition, mais sait avant tout s’en distinguer. Son ambition est ailleurs…

Influencé par sa formation académique, l’artiste place le dessin à la base de tout. C’est pourquoi l’exposition fait grand état d’esquisses et d’études préparatoires d’une virtuosité étonnante, notamment dans la conception de vastes projets de décors religieux et architecturaux qu’il entreprend à partir de 1870. La chapelle de l’asile Nazareth (1870-1872), aujourd’hui démolie, les plans de style néo-byzantin de l’église Notre-Dame-de-Lourdes (1872-1882) à Montréal, le programme iconographique, jamais réalisé, de la cathédrale de Saint-Hyacinthe (1885-1893) sont de ceux-là.

Pour ce faire, il introduit la vision mystique des Nazaréens, mouvement né en Allemagne prônant le renouveau de l’art religieux par un retour à l’esthétique épurée de la pré- Renaissance italienne et par la réinsertion de la peinture murale, s’inspirant des fresques du peintre Hippolyte Flandrin.

Avec la construction de l’église de Fall River, au Massachusetts (1890-1904), où il tient tous les rôles, ces expériences de chantiers correspondent à une approche globalisante de l’art tout à fait inédite, sur lesquelles plane encore le mystère des origines de sa formation d’architecte.

Un « testament » pictural

L’Apothéose de Christophe Colomb (1905-1912) est à la fois l’œuvre maîtresse de l’exposition et l’œuvre synthèse des aspirations les plus élevées de l’artiste qui se mesure enfin au « grand genre », celui de la peinture d’histoire. Cette magistrale allégorie héroïque tout en grisaille, qu’il destine à la décoration du Palais législatif et dont les premières esquisses remontent à 1859, restera inachevée. Il y aura investi les dernières années de sa vie. Son ultime idéal !

Homme d’érudition, à la fois peintre, sculpteur, architecte, auteur, professeur, conférencier, critique d’art et même musicien, Napoléon Bourassa est à l’image de l’« humaniste de la Renaissance ». « Son engagement dans l’enseignement et la reconnaissance des arts est considérable. Il fut l’artiste qui a le plus publié de son époque », précise Mario Béland, commissaire de l’exposition. Aussi, au terme de cette rétro­spective majeure, n’hésite-t-on plus à en parler comme d’un « personnage clé de l’histoire de l’art canadien ».

NAPOLÉON BOURASSA. LA QUÊTE DE L’IDÉAL
Musée national des beaux-arts du Québec
Parc des Champs-de-Bataille, Québec
Tél. : 418 643-2150, Sans frais : 1 866 220-2150
www.mnba.qc.ca
Commissaire : Mario Béland, conservateur de l’art ancien de 1850 à 1900 au MNBAQ
Du 5 mai 2011 au 15 janvier 2012


Catalogue

Le catalogue de 319 pages Napoléon Bourassa. La quête de l’idéal, entrepris sous la direction de Mario Béland, conservateur au MNBAQ, contient six essais très bien documentés. Tout d’abord Anne-Élisabeth Vallée Une vie dédiée à l’art. La chercheuse, qui a publié l’an dernier chez Leméac son étude doctorale intitulée Napoléon Bourassa. Être peintre à Montréal au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, cosigne également avec Paul Bourassa, du MNBAQ, l’analyse du portfolio de dessins et d’études. M. Bourassa remet en contexte la contribution de l’artiste dans Les grands accomplissements décoratifs et l’architecture. Outre l’historiographie commentée, Mario Béland s’attarde, quant à lui, à une fine analyse, La peinture et la sculpture : entre les nécessités de la vie et les rêves de création, qu’il fait suivre par L’apothéose de Christophe Colomb : l’œuvre d’une vie. Synthèse majeure, cet ouvrage illustré est le deuxième de la collection « Arts du Québec ».