La proposition Nos lieux de rien, présentée dans un espace alternatif de la communauté culturelle montréalaise, la Place d’affaires Sainte-Marie, arrive au terme du voyage et vient clore le périple d’expérimentations de Zerini-Le Reste. Elle y expose un récit porté par des œuvres de terre glaise trouvée, relatant ainsi son séjour outre-mer guidé par ses rencontres. L’artiste transpose ici, dans la métropole, des langages vernaculaires et des legs anecdotiques liés à l’argile afin de réactualiser les histoires qui lui ont été racontées et de représenter les épigraphies observées là-bas sur des briques, des tuiles, des ex-voto ou des ornements. La représentation transforme la collecte, pratique inhérente à la notion d’héritage, en geste de mémoire. Par ses interventions (in)conscientes de déplacements, Zerini-Le Reste refaçonne avec considération des historicités et des temporalités, et accroît la visibilité d’endroits indéterminés, habituellement peu regardés. La sculptrice a recours à divers types de terre argileuse – granuleuse ou sablonneuse – et même à des sédiments volcaniques pour concevoir des objets-réminiscences qui témoignent d’une attention propre à la vie dans les vestiges. La disproportion entre les gestes de prélèvement des matériaux et l’évocation de leur proximité relative avec leurs lieux d’origine – malgré, parfois, leur distance réelle – se ressent dans chacune des œuvres.

La commissaire qualifie l’artiste d’« archéologue courtoise » et d’« historienne curieuse ». Durant ses collectes quotidiennes sur le continent européen, elle s’est attardée aussi bien à des emplacements de fouille qu’aux espaces liminaux de sites patrimoniaux et à des détails architecturaux afin de saisir leurs valeurs intrinsèques et d’en faire des objets sculpturaux. Par l’intermédiaire de GeoPortal, une plateforme de données géographiques et géologiques, la statuaire a repéré divers sites d’extraction d’argile à proximité de mines et de zones volcaniques, dont une grotte, dans le but d’y puiser – en demandant la permission – ses matériaux de prédilection. En plus de ses déambulations dans les rues des villes, elle a également visité plusieurs usines de produits en terre cuite, des musées consacrés à la poterie et au savoir-faire ancestraux ainsi qu’un site d’art rupestre. Plus d’une cinquantaine d’œuvres ont été ouvrées en Europe, puis rapportées, malgré leur fragilité, parmi ses bagages, ou envoyées par courrier en prévision de cette exposition. Une fois de retour à Montréal, Alice Zerini-Le Reste a effectué une collecte d’argile dans les chantiers de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, notamment des rues connues, aux constructions en briques, comme Gilford, Laurier, Marie-Anne et Papineau. Elle a ensuite apporté le matériau à son atelier situé dans le même secteur pour le pétrir, le modeler et le cuire. Les pièces plus récentes ont été ajoutées au corpus réalisé en Europe pour Nos lieux de rien.

Vue partielle de l’exposition Nos lieux de rien d’Alice Zerini-Le Reste. Photo : Alice Zerini-Le Reste

Entrer dans l’exposition, c’est parcourir une géographie relationnelle, tracer une cartographie évolutive qui laisse place à d’autres points focaux que les œuvres présentées ; des subtilités d’endroits imaginés par des communautés, des artefacts de vie. Les codes austères de l’espace bétonné investi se trouvent déviés par des dispositifs édifiés de centaines de briques transportées par l’artiste et la commissaire. Les parallélépipèdes rectangles d’argile sont échafaudés en des structures qui s’imbriquent à la charpente, faite de poutres cylindriques immenses. C’est l’usage millénaire de ce matériau, datant d’avant l’ère commune et qui se perpétue aujourd’hui, que souligne l’artiste. Zerini-Le Reste et Rivard nous téléportent dans un espace-temps situé à mi-chemin entre les vestiges archéologiques, les vieilles villes fortifiées d’Europe et les bâtiments plus modernes de Montréal en cours de dé reconstruction. La mise en espace, sorte de trajet balisé de diverses stations, alterne circulation et contemplation. En tant que visiteuses et visiteurs, nous nous mouvons et découvrons çà et là parmi les amoncellements de briques les pièces dérobées, comme autant de strates d’histoires inscrites sur et dans la terre.

Les traductions formelles et matérielles révèlent l’identité de la sculptrice, sa propension à saisir l’essence d’un rien. En superposant les couches de souvenirs, elle nous fait voyager jusqu’à la source de sa motivation – celle de ses quêtes. Dans Nos lieux de rien, nous relisons, réinterprétons et réécrivons les lignes de cette exposition-récit composée de matière à pétrir, encore et encore.



NOS LIEUX DE RIEN
ALICE ZERINI-LE RESTE
COMMISSAIRE : JOSÉPHINE RIVARD
PLACE D’AFFAIRES SAINTE-MARIE, MONTRÉAL
DU 25 OCTOBRE AU 12 NOVEMBRE 2023