Lors de son passage à Québec, à l’occasion d’un workshop sur la manœuvre, l’artiste surtout connue pour ses opérations chirurgicales-performances présente au Lieu, centre en art actuel, une exposition où elle apostrophe de son ton contestataire le spectateur, abordant des sujets aux répercussions colossales.

« L’art peut, l’art doit changer le monde. » (ORLAN, 1997)

Féminisme, écologie et transhumanisme sont ainsi à l’honneur, dans un renversement des valeurs de la société actuelle. La révolution menée par les propos des œuvres rappelle l’ensemble de la carrière fort revendicatrice de l’artiste. Elle remet encore en question la structure sociétale, tentant à nouveau d’engendrer une prise de conscience, de changer le monde avec ses œuvres. Malgré l’importance des enjeux soulevés, celles-ci donnent l’impression d’une voix omniprésente, éloignée par la froide distance créée par le médium : la vidéo. Criant sur un fond noir en alternant des mots clés tirés de son discours sur la remise en question de l’ordre naturel, ORLAN semble détachée du monde et par le fait même, séparée du spectateur. Ce dernier est alors seul avec le poids opprimant d’un monde de remises en question, alors que l’artiste écorche au passage la prétendue naturalité de la reproduction ainsi que son lien avec les questions écologiques.

© ORLAN / SOCAN (2019). Courtoisie de l’artiste

La première vidéo, No Baby No… Où sont les Écolos ?… (2018), revendique le droit des femmes au contrôle de leur corps. Ayant réclamé le pouvoir sur sa propre chair dès ses premières œuvres, l’artiste maintient ici la portée féministe qu’on lui connaît. Elle y interroge le corps des femmes, marqué des dogmes politiques et sociaux, ainsi que les rôles prédéterminés par une société patriarcale. Elle célèbre ici les moyens de contraception ainsi que l’avortement, tandis qu’elle invite à faire fi de la pression ressentie par plusieurs femmes à faire des enfants. Elle abat ce « rôle biologique », redonnant au genre sa pleine souveraineté, réfutant même cette prétendue fonction naturelle (apparemment obligée ?) et invite à considérer cette obligation reproductive comme l’une des causes du surpeuplement et donc de surpollution de la planète. S’ajoute alors une portée écologiste à son discours.

Ce questionnement environnemental résonne dans la seconde œuvre de l’expo­sition J’ai Faim, J’ai Soif, Et Ça Pourrait Être Pire (2018). L’artiste y parle de toute cette bonne nourriture lui étant accessible, alternant avec les phrases « J’ai soif » et « J’ai faim », avant d’aborder les drames qui pourraient lui retirer ces gourmandises. Parmi les événements, elle introduit la famine et effectue alors un lien direct avec l’idée de surpopulation chère à son récent travail, signalant les conséquences de la reproduction. De cette façon, ORLAN aborde de plein front la crise climatique en offrant une solution tout aussi dramatique que l’état actuel de la planète : arrêter de faire des enfants ou No Baby…

Pétition contre la mort (2017). Performance, Ukraine

La Pétition contre la mort

La troisième projection donnant son nom à l’exposition, Pétition contre la mort (2018), se trouve être une sorte d’apogée de la pratique de l’artiste. Ayant, tout au long de sa carrière, questionné son corps et ses marques, et après l’avoir manipulé à travers ses opérations chirurgicales-performances, elle propose d’en briser la dernière limite : celle de la mort. Elle déclare donc ne pas vouloir mourir ou perdre quelqu’un aux mains de cette faucheuse et offre même la possibilité aux spectateurs d’en faire autant en signant la pétition contre la mort. Cette conception du corps propre aux artistes du transhumanisme, comme un simple objet manipulable, se développe chez ORLAN jusqu’à en vouloir le dépassement. L’éphémérité, propre à celui-ci, se voit en effet interrogée à travers cette ultime remise en question du déterminisme biologique. Après avoir demandé l’arrêt de la reproduction, l’artiste renverse complètement le paradoxe en prônant ici le besoin d’immortalité. Plutôt que de chercher la survivance à travers une descendance, ORLAN propose d’arracher la mort directement des mains de la faucheuse. Elle dépasse à ce moment l’inévitable; c’est une sortie ultime du cadre telle qu’exprimée par la dernière œuvre de l’exposition Tentative de sortir du cadre. Cette photographie, faisant partie d’une série datant de 1965, montre cette constante volonté de s’émanciper de tout conditionnement, qu’il soit politique, religieux, social ou, même à présent, biologique. Or, cette émancipation est-elle réellement possible ?

L’exposition Pétition contre la mort prend une forme presque grotesque à cause des impressions d’hystérie que nous laisse l’artiste. Naît alors un rire forcé sous-tendu d’un malaise et d’une angoisse surgissant de la gravité des questions soulevées. L’impuissance de l’individu, seul face à ces problèmes, crée une éco-anxiété accompagnée d’une réflexion inquiétante sur la mort. Cette vision offerte par ORLAN, loin d’être parfaite, force alors le spectateur à réfléchir par lui-même, à remettre en question la structure actuelle. Peut-être pourra-t-elle changer le monde, après tout ?

Pétition contre la mort – Le Lieu, centre en art actuel, Québec – Du 8 octobre au 10 novembre 2019