Patrick Bernatchez
Expériences plurisensorielles
Sous le titre Les temps inachevés, l’exposition que présente le Musée d’art contemporain de Montréal s’articule autour d’un corpus d’œuvres récentes de Patrick Bernatchez, réalisées au cours de la décennie 2006-2015, afin d’en explorer et d’en expliquer les fondements : sources, thèmes, iconographie.
Dans le catalogue, la commissaire, Lesley Johnstone (conservatrice et chef des expositions et de l’éducation), pose d’emblée le lien fondamental unissant, chez Patrick Bernatchez, le visuel et l’oral, l’image et le son, les arts plastiques et la musique. Non seulement la musique constitue une source d’inspiration essentielle, mais plus encore l’artiste estime qu’elle a nourri sa pensée même et sa manière de travailler suivant une démarche largement tributaire des fondements mathématiques de la composition musicale.
Cette approche de la production de Patrick Bernatchez, Lesley Johnstone entend l’exemplifier à travers une sélection d’œuvres – dessins, photographies, films, créations sonores, installations – extraites de deux grands ensembles : Chrysalides (2006-2013) et Lost in Time (2009-2015), deux projets conceptuels au long cours qui ont dominé ses travaux récents.
La série Lost in Time aborde par le menu la question du temps dans ses diverses manifestations – espace-temps, temps cosmique, temps performatif, temps imaginaire, voyage dans le temps, distorsion du temps, etc. Pour sa part, Chrysalides explore des thématiques relatives à la vie et à la mort, à la décomposition, à l’entropie, de même qu’au cycle des saisons, au passage du temps au fil des heures, des jours, des mois, des saisons, des années…
Pas facile de théoriser sur une œuvre qui, depuis des lustres, résiste aux mots et exige du visiteur qu’il mette momentanément de côté une approche cérébrale de l’art au profit d’une expérience sensorielle à travers laquelle se dessine quelque chose d’intangible, d’évanescent. Cette forte impression que transmet le travail de Bernatchez pose un défi à sa prise en charge par le discours savant, et la glose critique fait appréhender le pire – mais aussi espérer le meilleur – à chaque présentation. Comment, en effet, concilier la part d’affect qu’elle recèle et la volonté de faire sens une fois pour toutes ? Ce serait un peu comme tenter d’expliquer, pour paraphraser Bernard Lamarche (Les matins infidèles. L’art du protocole, Musée national des beaux-arts du Québec, 2013), les Variations Goldberg, dans la version pour piano préparé, par la simple description de l’aménagement de l’instrument, sans jamais en expérimenter le résultat dans son expression sonore ! Impensable !
De Chrysalides (série de dessins au graphite et à l’encre entamée en 2006) à Fashion Plaza Nights (installation sonore, achevée en 2013, inspirée de l’immeuble où l’artiste a occupé un atelier pendant de longues années), le chemin parcouru est visuel autant que plurisensoriel et intellectuel. En cours de route, cinq films ont ponctué sa vie, mais aussi des photos, des miroirs gravés et des performances. De l’idée de départ (un carnet de notes oublié dans le coffre de sa voiture et qui avait été détérioré, au cours de l’hiver, par des moisissures) à l’installation finale, c’est un vaste questionnement sur les notions de vie et de mort, de croissance et de dégénérescence, de mutation et de transformation qui apparaît peu à peu. Le grand défi de l’exposition-somme du MACM est de parvenir à montrer tout cela, surtout à le faire ressentir et expérimenter au visiteur, tout en fournissant des pistes sémantiques qui n’épuisent jamais la portée protéiforme et plurisensorielle du propos.
Patrick Bernatchez Les temps inachevés
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 17 octobre 2015 au 10 janvier 2016
Casino Luxembourg Forum d’art contemporain, Luxembourg
Du 27 septembre 2014 au 4 janvier 2015
Sélection d’œuvres en tournée : Argos – Center for Art and Media, Bruxelles
Du 26 avril au 28 juin 2015
The Power Plant Contemporary Art Gallery, Toronto
Du 29 janvier au 16 mai 2016