Les peintures qu’expose Paul Cloutier prolongent l’imagerie des gravures d’où l’artiste a tiré sa notoriété. Elles invitent à explorer un monde mi-terrestre, mi-aquatique.

Le nom de Paul Cloutier est, pour l’amateur d’art, associé à la discipline de la gravure. En effet, cet artiste a travaillé dans les célèbres ateliers de Hollande et de Californie et ses estampes figurent dans de prestigieuses collections. Les Montréalais qui fréquentaient la rue Saint-Paul dans les années 80 repéraient facilement, dans la vitrine de la Guilde Graphique, ses eaux-fortes et ses collagraphies. En quelques traits, avec quelques taches de couleur, ses fleurs qui ressemblent à des feuilles – ou l’inverse – racontent l’histoire de la nature. Aujourd’hui, beaucoup vont découvrir l’œuvre du peintre, même si ses tableaux ont déjà fait l’objet d’expositions à la Galerie Renée-Blain en 2010 et à la Galerie Jean-Claude Bergeron en 2007.

Jardins

Il s’agit bien du même univers pourtant, à la limite de la figuration, dans la grande toile intitulée Jardin III. Le spectateur se trouve transporté dans un monde hybride mi-terrestre, mi-aquatique. Un étrange écosystème, mot qui sert de titre d’ailleurs à une gravure de l’artiste. Anémones de mer, nénuphars, lotus, voilà les images que suggèrent ces formes légèrement concaves qui portent une couronne de perles. Une substance rugueuse grisâtre contrebalance, dans la partie inférieure, la préciosité des gouttes opalescentes. L’artiste compare cette recherche d’équilibre au contrepoint en musique. La partie supérieure est très dépouillée : ondulations semblables aux traces que la mer laisse sur le rivage en se retirant. Le tableau se lit de bas en haut comme une invitation à faire le vide pour s’élever.

Pour Paul Cloutier, comme pour Baudelaire, « la nature est un temple » et il « y passe à travers des forêts de symboles ». Les titres que l’artiste donne à ses œuvres ne sont que des indications qui incitent le spectateur à découvrir les symboles qu’elles recèlent. Mettant à profit sa formation de sculpteur, le peintre travaille la matière de telle sorte que certains tableaux pourraient presque être assimilés à des bas-reliefs. Réceptacle I représente une sorte de coupe ou de vase d’où semblent sortir des bulles. Un réceptacle est par définition un lieu qui reçoit des choses. Ce mot désigne aussi le sommet du pédoncule floral. Pour l’artiste, il équivaut à « l’ouverture à quelque chose de plus haut que nous ».

Le tableau intitulé Jardin I est fort éloigné de l’idée qu’on se fait habituellement d’un jardin. Aucune esquisse d’arbre ou de fleur n’apparaît dans cette composition abstraite. Quarante boutons surgissent dans la partie centrale, rangés comme le sont les arbustes dans un jardin à la française, à l’exception du fait qu’ils suivent des lignes sinueuses. Mais, ces quarante minuscules monticules pourraient aussi bien symboliser des roches, comme celles qui sont disposées sur le sable dans le Ryōan-ji. Synthèse de la spiritualité occidentale et de la spiritualité orientale, Jardin I est le « jardin secret » de l’artiste, le lieu intérieur dans lequel il se retire pour méditer.

Paradis perdu ?

Le mot « eden » signifie « délice » en hébreu. Le tableau de Paul Cloutier intitulé Eden III rappelle dans sa matérialité brute la simplicité de la vie primitive. Nostalgie d’un paradis perdu dans lequel l’homme vivait en harmonie avec la nature ou espoir d’y retourner un jour ? Extase sensuelle ou mystique ? Bien des interprétations sont possibles et cette polysémie fait partie de la valeur de l’œuvre. On croit distinguer une fleur, une digitale qui ne serait pas pourpre, mais texturée dans des tons d’ocre et de terre. La toile fait penser à une peinture rupestre avec les croix, les cercles et les signes mystérieux qui y sont gravés. De l’or brille dans les entailles, lumière  spirituelle présente dans les profondeurs de l’être.

Le tableau intitulé Ici Maintenant rappelle l’importance de rester ancré dans la réalité présente et de l’accepter. Ce principe humaniste a son équivalent dans le bouddhisme zen. Le « Hic et nunc » de Paul Cloutier a l’apparence d’une chaise, un meuble qui ne peut être rempli que par une présence humaine. C’est celle-ci qu’il nous faut imaginer prenant place là où se trouve une masse translucide lisse teintée de jaune et de rouge éteint. Le peintre reconnaît qu’il a voulu susciter chez le spectateur le désir de toucher.

Le rôle de l’artiste est de laisser sa marque, comme l’a fait l’homme primitif qui a appliqué sa main sur la paroi d’une caverne à l’époque préhistorique. Paul Cloutier veut pouvoir être fier de la trace qu’il laissera. C’est ce qu’exprime le tableau intitulé Blason. La forme en V posée sur un flocage de velours semble un objet précieux qui a résisté au passage du temps. Elle est ornée de triangles dorés qui ont une certaine ressemblance avec les abeilles napoléoniennes, mais un accident de parcours a modifié la régularité décorative, conférant ainsi à l’œuvre une charge émotive proprement humaine. Le blason symbolise fièrement l’identité d’une personne pendant sa vie et pour la postérité. L’art, comme Baudelaire l’affirmait dans la dernière strophe du poème « Les phares », est « le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité ». 

Paul Cloutier 
Galerie Jean-Claude Bergeron, Ottawa
Du 4 au 28 mai 2017