« Paysages montréalais » : une ville au fil du temps
En trente tableaux, tous prêtés par la prestigieuse collection Power Corporation du Canada, l’exposition Paysages montréalais présentée au Château Ramezay entreprend de tirer le portrait changeant de Montréal. Un siècle d’histoire urbaine s’étale sous nos yeux, au fil d’une sélection d’œuvres qui mise davantage sur la densité que la quantité.
Regrouper toutes les vues de Montréal pour qu’on puisse apprécier l’évolution de la ville : telle est l’ambition, à la fois simple et séduisante, de l’exposition Paysages montréalais. « C’est l’exposition rétrospective qu’on attendait depuis deux ans », s’enthousiasme Paul Maréchal, conservateur de la collection Power Corporation du Canada qui prête tous ces tableaux. « On croyait que les célébrations du 175e seraient le moment idéal, et puis ça ne s’est pas fait. » C’est que, poursuit-il, dans l’imaginaire populaire, Montréal est d’abord une ville commerciale et industrielle ; on ne pense pas à elle comme une cité d’art. « Alors, quand le directeur du Château Ramezay m’a contacté, il n’y a pas eu d’hésitation : on a rapidement décidé du sujet et, en deux semaines, Paysages montréalais était montée. »
Difficile, il est vrai, d’imaginer plus juste écrin que le Château Ramezay pour cette exposition. Intégralement consacrée à l’histoire de Montréal, cette ancienne demeure du gouverneur de l’île était le lieu idoine pour découvrir l’évolution de la métropole au siècle dernier. Positionnées en toute fin de circuit de l’exposition permanente, les deux salles consacrées à Paysages montréalais s’affirment même comme les chaînons manquants du musée, ces ultimes maillons qui lui permettent de raccorder le Montréal d’hier à celui d’aujourd’hui.
De 1870 à 1972, d’Adrien Hébert à Philip Henry Surrey, c’est un paysage en mutation qui se déploie au fil de ces trente tableaux et quinze artistes. Un paysage industriel, d’abord, celui d’une ville qui semble accueillir à bras ouverts la modernité et l’effervescence de la première moitié du XXe siècle. On se plaira ainsi à retrouver quelques-unes des toiles les plus connues d’Adrien Hébert (1890-1967), comme Le port de Montréal (1928) ou Les charbonnages (1928). « Hébert a été le premier à s’intéresser à la beauté industrielle de la ville, commente Paul Maréchal. Ses silos sont des châteaux forts. » Un peu plus loin, c’est Frederick Bourchier Taylor (1906-1987) qui nous propose de plonger dans l’activité fluvio-industrielle de la ville avec ses célèbres Élévateur à grains (1938) et Central Montreal from the Lachine Canal (1938).
Ce paysage industriel est comme entrelacé avec un second : celui du quotidien. Il perce d’abord sous le pinceau de Georges Delfosse (1869-1939), avant de s’imposer tout à fait avec Bourchier Taylor, mais surtout John Little (1928-). Chez ce peintre figuratif, c’est toute la petite vie urbaine du Montréal des années 1960 qui semble surgir du passé et de la toile. Difficile de dire à quoi tient ce sentiment de vérité… Sans doute à des détails aussi triviaux que cette neige spumeuse qui serpente, mi-noire, mi-blanche, au gré des rues tortueuses ou en pente. Toute la poésie hivernale de Montréal semble comprimée là, dans ces quelques traînées improbables et mélancoliques.
Un siècle d’histoire urbaine s’étale sous nos yeux, au fil d’une sélection d’œuvres qui mise davantage sur la densité que la quantité.
Et puis, par la modernité du trait de quelques peintres, une autre ville apparaît peu à peu. Celle de Philip Henry Surrey (1910-1990) qui, à la fois nocturne, venteuse et claire-obscure, est nimbée d’une ambiance presque surréaliste (Winter Wind, 1972). Celle de Marian Dale Scott (1906-1993) aussi, qui dégage par sa géométrie et ses circonvolutions une sorte d’inquiétante étrangeté (Stairways, 1945). Leurs formes singulières tranchent en tout cas avec le style plus classique qui préside au reste de l’exposition. Ce n’est plus par la présence d’une automobile récente, de fumées d’usine ou d’habits d’époque que le temps signale son passage, mais bien par la forme même de l’œuvre qui semble annoncer une sorte de renouveau.
Manière élégante de souligner que Montréal change et continuera de changer. Toujours.
Trois questions à Paul Maréchal, Conservateur de la collection Power Corporation du Canada
Julien Abadie – Quelle période couvre la collection Power Corporation ?
Paul Maréchal – Elle couvre la période 1780-1980, soit deux cents ans d’art canadien. Nous nous arrêtons aux post-automatistes. Comme elle couvre une large période, notre collection est devenue incontournable, même si elle n’est pas gigantesque. Vous savez, les collections de certaines banques canadiennes atteignent 7 000 œuvres ! Nous ne possédons pas le quart de ce nombre : nos objectifs sont différents. Nous nous concentrons sur les œuvres les plus importantes. En quelque sorte, nous sommes condamnés à la qualité plutôt qu’à la quantité.
Depuis quand l’entreprise réunit-elle cette collection, et comment a-t-elle procédé ?
M. Paul G. Desmarais a pris cette décision dans les années 1960. Trop souvent, il faut bien le dire, les collections d’entreprise ont tendance à se replier sur elles-mêmes. Ce sont des collections qui reflètent le goût des dirigeants et qui se construisent par des acquisitions souvent rationnelles. A contrario, Power a misé sur la cohérence et a comblé peu à peu ses lacunes. Quand je suis arrivé en 1993, il y avait peu d’œuvres d’Adrien Hébert, par exemple. C’est la première lacune que j’ai comblée. Ensuite, je me suis chargé de réunir les post-automatistes. Maintenant que la collection s’est enrichie, et même si nous continuons de suivre les ventes aux enchères, désormais, nous mettons davantage l’accent sur la diffusion plutôt que sur l’acquisition.
Quelle est la politique du prêt d’œuvres chez Power Corporation ?
On veut prêter notre collection aux musées dans un but citoyen. Depuis que je suis conservateur chez Power, j’ai toujours eu à cœur de faire connaître la collection aux directeurs de musées. Mais jamais nous n’intervenons dans l’éditorial et nous ne voulons pas non plus que notre logo apparaisse ; nous refusons de nous immiscer ou de souligner notre présence. Nous sommes de simples prêteurs, des philanthropes au sens américain du terme : le succès d’une entreprise n’a pas de sens, s’il ne rejaillit pas sur la collectivité.
Paysages montréalais. Œuvres d’art de la collection Power Corporation du Canada
Château Ramezay, Montréal
Du 11 juillet 2020 au 6 septembre 2021
Artistes : Adrien Hébert, Alexander Harold, Paul Caron, Georges Delfosse, Ernst Neumann, Frederick Bourchier Taylor, Robert Wakeham Pilot, Kathleen Moir Morris, Fritz Brandtner, William Thurston Topham, John Little, Marian Mildred Dale Scott, Philip Henry Surrey, Ludger Larose, et artiste non identifié (École canadienne du 19e siècle)