Dans le prolongement mais en contrepoint, voire en opposition, à l’exposition Merveilles et mirages de l’orientalisme – De l’Espagne au Maroc, Benjamin-Constant en son temps, le Musée des beaux-arts de Montréal accueille des compositions photographiques de trois femmes, trois artistes d’origine marocaine dont les créations remettent en cause les images de l’orientalisme véhiculées tant au sein des cultures occidentales que des pays arabes.

Peu de commentateurs aujourd’hui rappellent combien les peintres à l’époque de Benjamin-Constant voyaient en leurs confrères photographes des concurrents. Cette rivalité justifiait souvent leurs excès d’effets dramatiques et l’exagération jusqu’au mythe de leurs représentations picturales. Ce constat est flagrant, par exemple, dans des tableaux évoquant les mœurs des civilisations non européennes et, en particulier, dans les images de représentation de la femme.

L’occasion est belle pour Yasmina Bouziane, Lalla Essaydi et Majida Khattari de prendre une double revanche, celle des photographes sur les peintres dans le champ de l’imagination et celle des femmes, qu’elles affranchissent des visions stéréotypées où elles restent souvent confinées par les esprits conservateurs.

Toutes trois recourent aux modalités expressives propres à l’art actuel en misant notamment sur des stratégies de détournement qui donnent un caractère ludique à leurs dispositifs.

Ainsi dans Sans titre no 6, alias « La Signature », Yasmina Bouziane se met en scène foulard autour de la tête et bottes de cow-boy aux pieds dans un décor où projecteur, appareil photo sur trépied et ventilateur simulent un studio de prise de vue. « Ne bougez plus ! », semble ordonner l’artiste au sujet qui non pas pose, mais regarde le cliché qu’elle prend lui proposant le jeu de la photographe photographiée en train de photographier. Subtile et souriante mise en abyme.

Majida Khattari prouve qu’elle peut restituer en photo les prouesses chromatiques et chatoyantes d’un Delacroix brossant La mort de Sardanapale (1827). Ainsi, avec Tornade, l’artiste ne nie pas qu’elle met sa virtuosité au service d’un message qui témoigne des espoirs réprimés par les dictateurs du monde arabe.

De loin la plus attachée à la beauté formelle des compositions, Lalla Essaydi propose des images sensuelles et intellectuelles. Tel est le cas de La Sultane. Allongée, vêtue d’une robe moulante sur une couche que dévoilent deux rideaux, une jeune femme tient au bout de son bras une colombe. Avec ses cheveux, c’est la seule figure du tableau qui ne soit pas recouverte d’une écriture calligraphique inventée, riche donc de toutes les libertés imaginables. Quelle superbe métaphore pour énoncer que la culture n’est pas incompatible avec la sensualité, mais que l’une et l’autre pour s’épanouir exigent la paix.

Magnifique initiative que cette exposition de photographies contemporaines qui désarçonnent allègrement et avec vigueur les clichés d’un orientalisme aussi fictif que réducteur et oppresseur. 

YASMINA BOUZIANE, LALLA ESSAYDI, MAJIDA KHATTARI PHOTOGRAPHIES CONTEMPORAINES 
Musée des beaux-arts de Montréal
Du 31 janvier au 31 mai 2015