Fondateur de la Galerie Verticale (aujourd’hui Verticale), Lavallois de cœur depuis les années 60, Pierre Gendron, aujourd’hui âgé de 84 ans, se voit honoré par une rétrospective à la Maison des arts de Laval. Rencontre avec l’artiste.

Discuter avec le peintre abstrait Pierre Gendron, c’est découvrir l’essence même de ce qui semble avoir guidé son inspiration d’artiste, tout au long de sa vie : un intérêt marqué pour les autres, une curiosité aiguisée, une immense connaissance, de nombreux détours dans le monde des idées. C’est pour lui avouer le plaisir de se sentir perdu, puis de se retrouver ; c’est confier éprouver un amour profond pour la musique, mais aussi pour un art coloré, structuré, étudié et empreint à la fois d’une immense joie de vivre et d’une passion fulgurante.

Résumer près de 60 ans de carrière, qui passent par des études à l’École des beaux-arts de Montréal, des expositions au salon des Indépendants à Paris, à la Vancouver Art Gallery et dans de prestigieuses galeries à Toronto, à Ottawa, etc., voilà ce que le commissaire René Viau a relevé comme défi en effectuant des choix assurément difficiles pour la réalisation de Fête. Depuis plus d’un an, en plongeant dans le minutieux travail de classement et de numérotation des 350 œuvres de Pierre Gendron, tâche effectuée par Francine Lemieux, femme de l’artiste, René Viau a sélectionné une soixantaine de toiles. L’exposition comprend des œuvres des débuts (le plus ancien tableau remonte à 1959), des œuvres récentes et inédites, et s’achève avec un tableau que le peintre terminait au moment où a eu lieu ma rencontre avec lui dans son atelier.

Le cirque, 1961 114 x 89 cm

Présenter le travail d’une vie aussi variée en soixante œuvres seulement, est-ce possible ? René Viau, le commissaire de Fête, a choisi de se concentrer sur les œuvres abstraites de l’artiste. Il a d’ailleurs privilégié un certain type de tableaux en s’attardant sur la démarche artistique. « René s’intéresse beaucoup à mon travail préparatoire dans lequel j’utilise des grilles de traits », confirme Pierre Gendron. Néanmoins, il ajoute : « Mais moi, je suis pris avec mon geste et je sors de mes grilles ! Mon travail est le compromis entre l’équilibre et le déséquilibre, entre le raisonnement et la gestuelle. »

Passion et rationalité

En effet, la vie de Pierre Gendron oscille entre passion et rationalité. Il déplore aujourd’hui le fait de ne pas bénéficier d’une plus grande notoriété. Alors que son talent, son travail et sa carrière amorcée dans les années 60 semblaient le destiner à une grande renommée, ses incursions hors du Québec l’ont éloigné des feux de l’actualité. Au retour de ses séjours au Canada anglais et de ses années parisiennes, il doit se rendre à l’évidence : ses tableaux ne se vendent pas assez et il doit gagner sa vie. En 1968, il devient enseignant d’arts plastiques à l’Institut des arts appliqués et au Cégep du Vieux-Montréal ; il exercera jusqu’en 1994. « On riait de moi quand je suis rentré de Paris ! Évidemment, l’enseignement a pris beaucoup de mon temps. Après, j’ai été oublié ! » Mais pour son épouse, beaucoup d’autres artistes l’enviaient aussi sans le dire ; il avait un salaire fixe et pouvait faire sa peinture en parallèle, sans contrainte. Il ne correspondait pas à l’archétype de l’artiste libre de l’époque, menant son existence au gré de ses désirs spontanés. Est-ce que ces choix rationnels ont été les marqueurs du destin de l’artiste ? Y a-t-il de l’amertume aujourd’hui dans son cœur ? « Je me suis senti lâché. Il y a aussi le fait que parmi les non-figuratifs, je me situe entre deux générations, je fais partie des plus jeunes. Et puis, je marchais seul, je ne faisais partie d’aucune clique. » Et ce, malgré son côté passionné pour la vie d’artiste et sa présence dans le milieu des arts.

Les œuvres de Pierre Gendron sont magnifiques, étonnantes, extrêmement structurées, musicales, géométriques, bouleversantes.

Parmi les œuvres sélectionnées par René Viau pour Fête, Pierre Gendron commente deux d’entre elles.

Dans Fête (1963), il peignait alors rue de l’Anse-Bleue à Laval. « C’était une journée inondée de soleil. J’étais sur le bord de l’eau. Ce furent mes premières acryliques et j’étais l’un des premiers peintres à utiliser ce médium. » Il ajoute fièrement : « Fernand Toupin disait de mes toiles qu’elles étaient construites. »

Au sujet du tableau Le Baou II (1961), Pierre Gendron se trouve en Provence, à Saint-Paul-de-Vence, éloigné pour quelques mois de son atelier parisien. « Alors que la Provence était soleil et que j’aimais beaucoup les montagnes de la région, je crois que j’avais le mal du pays : j’éprouvais le besoin de retrouver mon cher hiver québécois. »

Les œuvres de Pierre Gendron sont magnifiques, étonnantes, extrêmement structurées, musicales, géométriques, bouleversantes. Leurs tonalités rappellent les coloris de Kandinsky, les dorures lumineuses de Klimt et l’aplomb de Borduas. À les observer, on ressent la joie, la sensibilité et la passion qui habitent l’artiste.

Que dit Pierre Gendron de l’œuvre de Pierre Gendron au fil du temps ? « Ça ressemble toujours à du Pierre Gendron ! », énonce-t-il, rieur. « Je suis plus critique aujourd’hui. Plus dégagé face à mon travail. » Et fier ? « Je ne suis pas à 100 % fier, mais oui, mais non, mais dans l’ensemble, oui. »

S’il y avait quelques mots à retenir pour qualifier son style, ce serait : géométrie, couleurs, mouvement, geste, passion, libération, amour ! « Le problème de l’hémisphère gauche et de l’hémisphère droit. Je suis un type très rationnel, mais très sensible à la fois. Quand je peins, je ne sais pas où je m’en vais. Je désobéis. » Longue vie à l’œuvre de Pierre Gendron !

Fête – Pierre Gendron
Commissaire : René Viau
Salle Alfred-Pellan, Maison des arts de Laval
Du 6 mai au 30 juin 2018