Pierrick Sorin – Le Buster Keaton de la vidéo d’artistes

Personnage proche de Tati, Mister Bean ou Buster Keaton et adepte de l’enregistrement vidéo, l’artiste français Pierrick Sorin ne cesse de provoquer l’étonnement. Depuis 1989, il se met en scène en antihéros, le plus souvent à travers divers épisodes de sa vie quotidienne ou de son histoire personnelle.
Ses saynètes se composent généralement d’une succession de gestes insignifiants et banals. Documents insolites, elles soulignent le caractère absurde de ce qui apparaît comme autant d’hommages incongrus à « l’homme sans qualité » qu’il estime être. L’artiste se présente dans la plupart des cas en proie au ratage. Une vie bien remplie (1995) rassemblait sur le grand plateau de la Fonderie Darling une constellation de petits écrans. Sur chacun d’entre eux, l’artiste s’autofilme dans d’innombrables gestes intimes de sa vie quotidienne : il se lève, il se brosse les dents, il se mouche… Projetés en panoramique sur l’immense mur de brique de ce site industriel reconverti, deux autoportraits se fusionnent l’un à l’autre.
Pierrick Sorin est une figure importante de l’art français actuel. En 1998, il a représenté la France à la Biennale de Sao Paolo (Brésil). Il a exposé en solo à la Fondation Cartier de Paris en 2001, mais aussi en groupe au Centre Pompidou, à la Tate Gallery (Londres)… De Jean-Paul Goude à Robert Lepage pour son fameux Tourne-disque, il a aussi travaillé avec des créateurs de grand renom. En 2010, on pouvait voir une grande rétrospective de son œuvre au Lieu Unique, à Nantes, sa ville natale. Cette année, le Musée d’art moderne de Buenos Aires (Argentine) lui a consacré une rétrospective.
Néanmoins, il ne se prend pas au sérieux. Ainsi, Sorin ne peut s’empêcher de parodier certains tics de l’art contemporain. Il le fait en s’attaquant à l’image un peu cliché de l’artiste en vogue monté sur un piédestal et incarnant de manière spectaculaire la figure du créateur. Nantes Projets d’artistes (2000) torpille avec humour les poncifs du genre. Vrai-faux document, à la façon d’une pompeuse émission culturelle télévisée, ce film diffuse, en quatre « sujets » aussi cocasses les uns que les autres, des reportages bidon créés par des éponymes de Sorin. On y suit ainsi quatre interventions que l’on croit véridiques, censées prendre place au sein de l’espace urbain. Passant d’un déguisement à l’autre, Pierrick Sorin joue pour chacune d’entre elles le rôle du « jeune artiste européen ». C’est grinçant ! Ces détournements à la fois caustiques et bon enfant sèment le doute. Le champ est miné.
À l’opposé de ce visage d’amuseur public, Sorin se montre refermé sur lui-même. Déjà, avec C’est bien mignon tout cela (1993), il avait pris le risque de l’impudeur sans pourtant donner dans la provocation gratuite. Narcisse vêtu de porte-jarretelles, l’artiste se reflète dans le miroir de la vidéo. On y voit une scène très privée d’onanisme, mais peut-être s’agit-il plutôt de l’impitoyable caricature de bien des vidéos ou des performances d’artistes ?
Pierrick Sorin se filme souvent en solitaire dans des espaces clos et domestiques. Seuls les dédoublements et les multiplications de sa propre image semblent pouvoir briser son enfermement. De plus, non content de se situer des deux côtés de la caméra, toujours pince-sans-rire, il parle de lui à la troisième personne. Ainsi, le « je » devient un autre.
PIERRICK SORIN UNE VIE BIEN REMPLIE
Fonderie Darling
745, rue Ottawa, Montréal
Tél. : 514 392-1554
www.fonderiedarling.org
Du 16 juin au 28 août 2011