Portrait de la modernité mexicaine
C’est dans une scénographie à saveur mexicaine – couleurs de terre cuite et de végétation luxuriante –, que les œuvres de plusieurs acteurs majeurs de la modernité artistique au Mexique sont présentées au Musée national des beaux-arts du Québec. Issues de la collection Jacques et Natasha Gelman, les quelque cent cinquante images d’archives, photographies, reproductions d’œuvres et tableaux appartenant au couple collectionneur dressent un portrait historiographique de l’art moderne mexicain grâce aux artistes et aux relations humaines qui l’ont tissé.
C’est par les parcours professionnels et personnels de Frida Kahlo et Diego Rivera que l’on découvre un réseau d’artistes qui, ensemble, ont contribué à faire du Mexique un pôle culturel important de l’art en Amérique. Une première salle nous immerge d’abord dans le contexte de l’époque par le travail des « Tres Grandes », les précurseurs du mouvement muraliste. Les œuvres de José Clemente Orozco, David Alfaro Siqueiros et de Rivera dressent le portrait du climat politique et social entourant l’arrivée de la modernité au Mexique, après les révolutions des années 1910. Des reproductions de grand format des murales emblématiques de Rivera témoignent des idéaux marxistes imaginés par le nouveau régime politique en place. Ces scènes de genre de la vie paysanne traditionnelle construisent une mythologie mexicaine qui met de l’avant un peuple guidé par le socia-lisme. On reconnaîtra dans ces murales certains visages connus, comme celui de Kahlo.
Portrait d’une icône
Le parcours de Frida Kahlo, figure de proue de l’art moderne, est abordé par l’entremise de son rapport à la photographie ; l’artiste comme sujet devient rapidement un prétexte pour introduire le travail d’artistes photographes majeurs qui lui sont contemporains. On découvre alors les éléments biographiques de la vie de l’égérie mexicaine à travers les yeux de ces artistes, dont le portraitiste et spécialiste de la photographie d’architecture, Guillermo Kahlo. C’est d’ailleurs lui qui apprend à sa fille dès son plus jeune âge à se mettre en scène et à utiliser son image pour se rendre visible. Son visage, ses costumes et sa prestance deviennent rapidement une signature qui lui est indissociable, et elle l’utilise pour flouter les limites entre l’art et la vie. Elle pose pour la caméra de son père, elle pose aussi pour ses amis lorsqu’elle peint.
Plusieurs clichés constituent donc la documentation de son ascension sociale et soulignent le caractère singulier du personnage qu’elle présente au monde. Alors que plusieurs images documentent la vie de l’artiste, une série de photos prise par Nickolas Muray à New York transcende la trace documentaire et élève le modèle à un statut « d’œuvre d’art vivante ». Le travail de Lola Alvarez-Bravo, également mis à l’honneur, représente plutôt l’intimité d’une Frida Kahlo sensuelle et introspective. Le corpus sélectionné donne ainsi à voir le rapport complexe de Kahlo au miroir et à son propre reflet.
Le parcours de Frida Kahlo, figure de proue de l’art moderne, est abordé par l’entremise de son rapport à la photographie ; l’artiste comme sujet devient rapidement un prétexte pour introduire le travail d’artistes photographes majeurs qui lui sont contemporains.
Autoportraits
L’image que l’on se fait de soi devient en cela un thème à part entière, qui revient dans une autre section de l’exposition consacrée cette fois au travail pictural de Kahlo. Reconnue internationalement pour ses autoportraits, elle en fait tôt dans sa vie un modus operandi qui lui permet d’affirmer sans scrupule son identité de femme moderne mexicaine. Inspirées par les différents événements qui ont bouleversé sa vie, ses œuvres se composent de scènes surréalistes empruntant à l’esthétique naïve de l’art mexicain folklorique.
L’Autoportrait aux singes (1943) est sans doute la pièce qui permet de saisir l’intégralité des concepts entourant cette exposition. L’œuvre situe Kahlo dans son Mexique natal, entourée des animaux qui vivent près de sa résidence de Coyoacàn. C’est dans cette Casa Azul qu’elle reçoit périodiquement des artistes et des célébrités étrangères, c’est là aussi qu’elle noue les liens d’amitié qui définiront plus tard tout un pan du modernisme mexicain. Elle y invite également ses étudiants de La Esmeralda afin de continuer ses enseignements lorsqu’elle est trop malade pour se rendre à l’université. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude, le commissaire de l’exposition mentionne que les singes pourraient symboliser la nouvelle génération d’artistes, ses étudiants, « los fridos », manière d’évoquer les ponts intergénérationnels qui sous-tendent son travail.
Portrait d’une génération
La collection Gelman se compose également d’œuvres d’artistes moins engagés socialement et politiquement que Kahlo et les muralistes, mais qui partagent avec eux une sensibilité pour l’avant-gardisme. Citons notamment Marîa Izquierdo, qui mélange des éléments de l’art populaire colonial à ceux du surréalisme, ou encore le plasticien Rufino Tamayo. La collection, qui s’est aussi arrêtée en Italie, en Australie et aux États-Unis dans les dernières années, permet de découvrir un art moderne mexicain qui n’a rien à envier aux grands pôles de l’art et qui se dévoile comme un réseau de connexions entre des artistes et des personnages publics des plus importants.
Frida Kahlo, Diego Rivera et le modernisme mexicain
La collection Jacques et Natasha Gelman
Musée national des beaux-arts du Québec
Du 13 février au 7 septembre 2020