Promenons-nous dans les bois. Le loup n’y est pas et il y a peu de risque que l’ours s’y montre. Alors, allons d’abord au Bois de Belle-Rivière, puis dans les Jardins du précambrien, avant de nous arrêter à Saint-Jérôme pour y visiter deux expositions.

1er arrêt : Route 148

La 8e édition de l’événement Sentier Art3 a été confiée par sa directrice Suzanne FerlandL au commissaire Karl-Gilbert Murray. Celui-ci a choisi trois artistes d’ascendance autochtone qui ont, par des moyens artistiques, repris possession de leur territoire. Aucun sensationnalisme cependant dans les œuvres réalisées par Bonnie Devine, Hannah Claus et Michael Belmore. Elles sont même si discrètes qu’un promeneur peu attentif risquerait de passer à côté d’elles sans les voir. Pour créer son installation intitulée Anishinaabe qui signifie « peuple des origines », Bonnie Devine a planté dans le sol deux formes réalisées en vannerie. Constituées d’un entrelacs de cordes de la couleur des troncs d’arbres près desquels l’installation est placée et de joncs verts comme les feuilles des buissons alentour, elles se fondent dans le sous-bois. Elles représentent des êtres humains dans la tradition des arts premiers, avec leur bouquet de brindilles en guise de cheveux. Quant à l’œuvre d’Hannah Claus, celui qui marcherait sans penser à regarder en l’air la manquerait. Elle se dissimule, malgré sa couleur rouge, dans les branches des arbres, car elle est constituée de minces cordelettes. À la fois toile d’araignée sanglante et parodie du capteur de rêve folklorique, elle se met à briller lorsque les rayons du soleil la frappent. Amas de pierres parmi les pierres, l’installation de Michael Belmore est sans doute celle qui est la moins visible. Mais, une fois découverte, elle fascine. Il semble qu’un feu vienne tout juste d’être ranimé, comme si quelqu’un avait soufflé sur des braises. Grâce à un montage très précis de feuilles de cuivre appliquées sur deux pierres qui se font face, l’artiste réussit à suggérer la convivialité d’un foyer en pleine nature.

2e arrêt : Montée Gagnon

Bien différente de l’attitude adoptée par les artistes de Sentier Art3 est celle de Nicholas Galanin, l’un des deux artistes d’origine autochtone choisis par les commissaires du Symposium de Val-David, Chloë Charce et Guy Sioui Durand. Cet artiste, qui appartient à la communauté Tlingit, revendique son territoire ancestral de la manière la plus explicite qui soit. Des étiquettes – identiques à celles qui sont accrochées à des produits à vendre – sur lesquelles on peut lire « Indian Land TM » sont suspendues aux branches basses. Quant à Nadia Myre, qui est sans doute la plus connue des artistes d’origine autochtone du Québec, elle a repris à son compte une technique chère à Christo en emballant, dans un parachute rouge, une roche erratique. En s’approchant, on entend le bruit d’une respi­ration, comme si la Terre-mère voulait rappeler aux hommes qu’elle est un être vivant sur la santé duquel il faut veiller. Si le rouge de l’œuvre de Nadia Myre crée un agréable contraste avec le vert de la forêt, il n’en est pas de même pour la surabondance de couleurs et de formes dont a fait assaut le collectif Les Ville-Laines dans son installation intitulée Mystique radioactif. Il n’est pas aisé d’adapter à la nature un travail qui est si plaisant lorsqu’on l’aperçoit au coin d’une rue en ville. Dans son œuvre intitulée Muerto en vida, l’artiste colombien Rafael Gomez Barros dénonce les violences et les disparitions, qui font partie de la vie quotidienne dans son pays, en emprisonnant des troncs d’arbres dans des boîtes en ciment cubiques. La métaphore doit son efficacité à une absence totale de concession esthétique. En revanche, le sentier de petites pierres blanches créé par Caroline Cloutier est si beau qu’on hésite à marcher dessus. Il faut oser pourtant, si l’on veut assister, au détour du chemin, à l’envol de ces petites pierres qui semblent échapper d’un coup à la gravité. Enfin, Nicholas Galanin a gravé en lettres d’or, sur un énorme rocher, l’expression « The Center of the world », comme une invitation ironique à réfléchir à notre place dans l’univers. Trajectoires, détours, résistance. Les artistes ont interprété librement ces directives, mais la poète invitée cette année à laisser des textes poétiques le long du sentier, Louise Dupré, s’en est aussi inspirée. Elle est une résistante : « Je veille devant les bouquets des cimetières. Je me veille tranquille, parmi tant d’autres âmes qui n’ont pas su résister. »

Dernier arrêt : Saint-Jérôme

C’est à une promenade d’un autre genre que les deux commissaires de l’exposition estivale du Musée d’art contemporain de Saint-Jérôme, Andrée Matte et Louise Bérubé, nous convient en nous proposant d’aller d’un objet artisanal à une œuvre d’art autour du thème de la pêche à la mouche. La mouche de Ben, cet artefact qui servait d’enseigne à la boutique Ben La Mouche, est si grand et si extraordinaire qu’on le prendrait pour une sculpture. On ne sera pas surpris, étant donné l’intérêt de Riopelle pour la nature, qu’il ait réalisé des eaux-fortes de mouches. Bonnie Baxter, qui a prêté au Musée une œuvre de la série Autres mouches exécutée par le peintre des oies blanches, a aussi représenté une mouche. L’estampe numérique intitulée Après Mouchetache (sic) révèle l’hameçon meurtrier que dissimulait ce faux insecte. Les taches de sang tout autour ont le charme trompeur des coquelicots. La série de 29 impressions à jet d’encre de Laurent Lamarche intitulée Mustelide Mecanica montre des mouches toutes plus extravagantes les unes que les autres, comme si elles voulaient rivaliser avec celles qui ont été conçues par des pêcheurs experts en la matière. Il n’est pas recommandé d’emprunter pour pêcher la barque de Michèle Héon. Cette épave couverte d’algues est inquiétante comme un bateau fantôme. En revanche, un parapluie pour s’abriter du soleil peut être le bienvenu. C’est ce qu’a dû penser le pêcheur dans la photographie d’Elena Willis intitulée Pink umbrella, d’autant plus qu’il ne doit pas être facile d’attraper des poissons dans ce lac envahi par la végétation. Pourtant, en voici un qui est pris. Dans l’impression au jet d’encre intitulée Poisson de Mathieu Latulippe, l’animal semble porter sur sa peau l’empreinte du journal dans lequel il a sans doute été enveloppé. L’exposition fait appel à une grande variété de médiums : vidéo documentaire d’un pêcheur qui raconte une histoire de pêche, mais aussi vidéo d’art sur le saumon de Claire Brunet, installation de François Morelli, projection de Laurent Lamarche. Enfin, il faut louer le fait que toutes les œuvres sont parfai­tement en rapport avec la thématique, ce qui n’est pas souvent le cas dans une exposition qui regroupe un nombre important d’artistes.

Il nous reste une exposition à voir avant de reprendre la route pour Montréal. Une église en réfection, située à peu de distance du Musée d’art contemporain des Laurentides, abrite une installation multidisciplinaire du collectif Pages Perdues. J’étais curieuse de découvrir le travail récent de l’une des artistes du collectif, Geneviève Oligny, dont j’avais commenté l’exposition qu’elle avait faite au Gesu en 2003 (Vie des Arts, Automne 2003, No 192). La créatrice de lanternes est devenue sculpteure à part entière. Ce sont des femmes lumineuses qui habitent cet espace sombre jonché de livres où résonnent des textes poétiques écrits par elle-même et par le poète Gilles Matte avec, en accompagnement, la musique originale d’Éloi Amesse. Le papier, ici sous forme de pages de livres, est toujours le matériau de base des créations de Geneviève Oligny. Ajouré comme une dentelle, il laisse passer la lumière qui tente d’éclairer les recoins obscurs d’un espace onirique, comme la trace matérielle laissée par une lecture.

La promenade est terminée. Nous disons au revoir aux Laurentides. Nous avons fait le plein d’été. Le jour commence à baisser. Il est temps de rentrer. D’ailleurs, c’est la rentrée !

SENTIER ART3, ÉDITION 2014
Commissaire : Karl-Gilbert Murray
Parc régional éducatif Bois de Belle-Rivière, Mirabel
Du 30 juillet au 10 août 2014 (pour l’événement, mais ouvert toute l’année)

Symposium international d’art-nature multidisciplinaire 2014TRAJECTOIRES – DÉTOURS – RÉSISTANCE 
Commissaires : Chloë Charce et Guy Sioui Durand
Les Jardins du précambrien, Val-David
Du 5 juillet au 13 octobre 2014

LE MUSÉE FAIT MOUCHE…
Commissaires : Andrée Matte et Louise Bérubé
Musée d’art contemporain des Laurentides, Saint-Jérôme
Du 14 juin au 14 septembre 2014

LUESHEURES CORPSRESPONDANSES LIVRESRAISONS DE L’INTIME 
Ecclesia, Saint-Jérôme
Du 5 juillet au 3 août 2014