Regard actualisé sur la collection permanente du Musée du Bas-Saint-Laurent
Pour créer sa grande exposition estivale, prolongée jusqu’au 10 janvier 2021 en raison de la pandémie, le Musée du Bas-Saint-Laurent (MBSL) s’est associé à Voir à l’Est (VAE), un regroupement constitué d’une trentaine d’artistes professionnels de la région. Ce faisant, ils relèvent un double défi : contribuer au dynamisme de la création actuelle tout en mettant en valeur la collection du MBSL.
Dans sa conception même, l’exposition Confluences témoigne d’un désir de remettre en question les hiérarchies. Le choix du cocommissariat – assumé par la conservatrice du MBSL, Oriane A.-Van Coppenolle, et l’artiste et membre de VAE, Jocelyne Gaudreau – indique que le dialogue sera mis en avant-plan, tant comme méthode que comme objet ; l’idée de l’exposition étant d’inviter dix artistes actuels à créer des œuvres en filiation avec dix œuvres de la collection du musée.
Le choix des œuvres de la collection a lui-même été le fruit d’échanges. Les commissaires ont soumis quarante œuvres aux artistes invités, qui devaient en retenir chacun trois. Elles leur ont ensuite attribué l’une de ces trois œuvres, la sélection finale ayant été guidée par des critères de cohérence de l’ensemble ainsi que par un désir de respecter la parité des genres. Il en résulte un remarquable instantané d’une collection qui compte plus de 3500 œuvres contemporaines, majoritairement abstraites. Il est réjouissant, entre autres, de retrouver dans une sélection de ce type six œuvres majeures produites par des femmes, dont Individuelle Mythologien Fragment, Documenta # 4 et # 5 (1985), d’Irène Whittome, qui juxtapose finement archives et calligraphie, et Contre-point (1979), une tapisserie de haute lisse de Michèle Bernatchez qui dévoile, sous des bandes grises, un ardent emboîtement de losanges jaunes, orange et rouges.
Dans sa conception même, l’exposition Confluences témoigne d’un désir de remettre en question les hiérarchies.
Les dix artistes de Voir à l’Est, choisis par un jury de pairs, se sont rencontrés à quelques reprises en cours de création pour présenter l’état de leurs recherches, le désir des cocommissaires étant que l’œuvre « de commande » s’inscrive pleinement dans la démarche de chacun. Plusieurs présentent un exercice de variation qui s’appuie sur la forme de l’œuvre source. Par exemple, Michel Lagacé reproduit la structure en neuf parties de Astie (1973) de Jacques Hurtubise ; Pilar Macias reprend la forme fragmentée du bas-relief coloré Peinture en relief (2) (1958) de Mario Merola ; et Fernande Forest emprunte la forme de la cible du Gong (1966) de Claude Tousignant. C’est à l’intérieur de ce cadre strict qu’ils inscrivent leurs préoccupations et leurs manières de faire.
D’autres artistes reprennent plutôt la thématique ou l’imagerie de l’œuvre de la collection : Michel Asselin présente une sculpture évoquant un ruisseau en réponse à la vague géante de Shock wave II (1987), en « shaped canvas », de Catherine Widgery ; et Jacques Thisdel démultiplie le motif du rat qu’on retrouve dans l’énergique composition de la peinture Le rat des villes (1973) de Kittie Bruneau.
Le dialogue qu’instaurent les œuvres de Nadine Boulianne et Mona Massé est moins direct. La première répond à un dessin abstrait de Betty Goodwin (Sans titre, 1981) par une élégante photo (Passage, 2020) où l’on voit deux femmes – ou la même, dédoublée ? – se mouvant autour d’un fauteuil rétro. Entre les lignes droites qui tangentent le geste très expressif de Goodwin et les marques du cadre photographique, duquel déborde l’image de Boulianne, des correspondances complexes s’établissent. De beaux échos se produisent aussi entre le trait vif du fusain et le bougé de la photo, ou encore entre les marques rouges qui couvent sous le noir et les subtiles touches sépia.
La proposition de Mona Massé, Souvenir d’un lieu que je n’ai jamais vu # 24 et # 12 (2020), est également astucieuse. En réponse au tableau abstrait de Marcella Maltais (Sans titre, 1966) dans lequel se bousculent des masses blanches et colorées, l’artiste a créé des œuvres à partir de photos de glace et de givre. Huit petits formats nous montrent les photos de départ. Un effet de ravissement est produit par les deux grands formats, fruit d’une superposition d’images. À la fois aériennes et minérales, ces œuvres ont une indéniable qualité picturale. Troquant la peinture contre la photo, la juxtaposition contre le travail par couches et la couleur contre le noir et blanc, Massé prend ses distances avec l’œuvre source, mais en garde une trace fantomatique.
La contribution de Guillaume Dufour Morin, inspirée de l’art participatif et de l’art infiltrant, est d’un type différent. Des trois photos de Serge Tousignant, Dessins solaires # 2, 22 et 24 (1980), présentant des figures géométriques produites par des bâtons de bois plantés dans le sable, il retient avant tout l’attitude de l’artiste qui les a créées et la qualité de son attention (aux ombres, notamment). Faux Tousignant, Escouade de la prolifération compulsive des monuments solaires à Serge Tousignant (2020) est le fruit de la participation de vingt-six personnes qui ont accepté de faire de faux Tousignant ainsi qu’une œuvre de leur cru, celle-ci inspirée de l’artiste. L’ensemble des ombres épinglées à la manière de Tousignant se trouvent réunies dans une vidéo. On peut voir dans cette œuvre une mise en abyme de l’intention de départ des cocommissaires à la source de Confluences : une incitation à s’imprégner de la sensibilité de l’autre, à se décentrer, pour susciter une réactivation du regard.
Confluences. Laboratoire de création
Commissaires : Oriane A.-Van Coppenolle et Jocelyne Gaudreau
Musée du Bas-Saint-Laurent, Rivière-du-Loup
Du 3 juillet 2020 au 10 janvier 2021
Artistes : Michel Asselin, Catherine Widgery, Nadine Boulianne, Betty Goodwin, Guillaume Dufour Morin, Serge Tousignant, Fernande Forest, Claude Tousignant, Emmanuel Guy, Michèle Bernatchez, Michel Lagacé, Jacques Hurtubise, Bobby Valérie, Irene Whittome, Pilar Macias, Mario Merola, Mona Massé, Marcella Maltais, Jacques Thisdel, Kittie Bruneau.