Qui n’a jamais visité une exposition en courant ou jeté un coup d’œil rapide sur les œuvres pensant qu’il n’y a rien de bien nouveau ou d’original à voir ? Peut-être est-ce parce que nous ne prenons pas (ou plus !) le temps de regarder. Regarder une œuvre n’est pas uniquement un acte de perception, cet exercice exige de fixer son attention dessus, de l’observer et de l’examiner pour déceler sa richesse. L’exposition Le temps s’est arrêté présentée à la Galerie Hugues Charbonneau s’empare de la thématique du titre dans la manière d’appréhender le corpus des œuvres. Pour apprécier les huit œuvres de l’exposition, il faut prendre le temps de s’arrêter devant chacune d’elles, car toutes mettent en perspective une saisie de l’instant et figent dans le temps les effets de différentes formes d’incidents.

La nature surexploitée par les activités humaines se venge. Des catastrophes environnementales s’ensuivent : la nature s’éteint, les cycles sont bouleversés, l’homme se trouve impuissant, sa vie est suspendue. Benoit Aquin fixe cet égarement de l’homme et de la nature dans des photographies soignées et bouleversantes. Alors que le poids du silence est écrasant dans sa série sur Le Dust Bowl Chinois, l’espoir renaît dans L’envolée (Haïti). Cette photo­graphie offre une double lecture de la thématique de l’exposition : si le temps s’est arrêté après le terrible tremblement de terre de 2010, la vie reprend tout de même le dessus. L’homme jouant au ballon, suspendu dans l’air, métaphorise un arrêt du temps qui se veut plein d’espoir malgré l’atmosphère funeste. Il y a toujours un après après chaque événement, après chaque cataclysme. C’est d’ailleurs ce qu’explore Karine Payette dans Moment d’incertitude I. Que s’est-il passé avant cette scène chaotique ? Impossible de le savoir ! Seule certitude : nous n’avons pas accès à l’événement d’avant, uniquement à l’instantané d’un après. Libre au spectateur de devenir le narrateur et de restituer l’histoire de cette scène saisie sur le vif.

L’inconfort narratif se décline en malaise perceptuel dans l’installation Juste avant. Un chat posé sur un tapis se trouve dans une position désagréable. C’est comme s’il faisait une chute de plusieurs étages. À bien y regarder, il n’est pas sur le tapis, il lévite à une hauteur de cinq millimètres et oscille légèrement de droite à gauche. La suspension et le mouvement sont tellement discrets qu’ils échappent à l’œil de celui qui regarde l’œuvre rapidement. Un regard attentif décèle l’étrangeté de la scène : à cette hauteur du sol, impossible pour le félin de retomber sur ses pattes. Le mouvement simule l’effet cinématographique d’un arrêt sur image, plus précisément d’une image captée entre-deux et qui ne peut qu’avancer et reculer. L’effet de sur-place produit un malaise optique que l’on retrouve également dans l’œuvre de Jonathan Plante par un effet de dédoublement de l’image. La sculpture Treesome nous donne l’impression de voir triple. Sommes-nous subitement atteints de diplopie sévère ? Des trois branches de bois, seule l’une d’elles est naturelle, les autres ont été entièrement reconstituées par l’artiste. Troublant la netteté visuelle de la sculpture, la sensation ophtalmique est désagréable. Clignons des yeux, et tout redeviendra normal. Mais non ! Notre vue n’est pas atteinte de ce trouble fonctionnel. La sculpture déjoue notre comportement optique habituel pour nous obliger à nous arrêter. Par contre, chez Tammi Campbell, notre vision nous joue bel et bien des tours. Deux tableaux de la série From Work in Progress représentent une forme circulaire dessinée au graphite, dans laquelle sont disposées des lignes verticales à la manière d’un cadran solaire inachevé. Le temps est définitivement arrêté dans ce symbole de temps qui passe. Dans l’un des deux tableaux, Banff2012b, le spectateur est surpris par les deux bandes de rubans adhésifs qui surmontent le cadran. C’est que l’artiste n’use pas uniquement de stratégie symbolique pour arrêter le spectateur, elle joue avec le caractère plastique de l’œuvre pour confondre ses attentes. Les deux tableaux sont intégralement faits à l’acrylique : pas de graphite, ni de ruban adhésif. Le trompe-l’œil est époustouflant. Dès qu’il est dévoilé, nous ne pouvons que rester stupéfaits devant l’œuvre. Nos sens sont déjoués, nous le savons, mais nous n’arrivons pas à voir l’acrylique tellement l’illusion est parfaite.

Dans l’ensemble du corpus savamment choisi par Hugues Charbonneau, que le dérapage soit perceptuel ou environnemental, il nous force à nous arrêter devant une temporalité elle-même arrêtée.

LE TEMPS S’EST ARRÊTÉ
Galerie Hugues Charbonneau, Montréal
Du 12 janvier au 16 février 2013