L’exposition intitulée l’Espace intérieur présentée à la galerie d’art L’Espace contemporain a pour principale qualité de proposer un panorama rétrospectif des œuvres de Réjeanne Lizotte (1947-2014), artiste assez méconnue. L’exposition coïncide avec la parution du catalogue raisonné de son œuvre rédigé par Richard Foisy.

Le processus de création de Réjeanne Lizotte résulte d’une complexe maturation où interfèrent plusieurs manières de peindre qui s’inscrivent dans la mouvance de l’abstraction lyrique. Il s’agit d’un travail engendré sous le signe de la musique de jazz. L’artiste s’est montrée sensible à ce qu’elle a appelé « les cadences du monde », peignant dans un état de « nomadisme, d’errance, d’exil », mais toujours au sein de son monde intérieur.

Produit d’une sensibilité à fleur de peau, l’œuvre picturale de Réjeanne Lizotte s’étend principalement des années quatre-vingt-dix à la première décennie des années deux mille ; on peut dire qu’elle fait le point sur certaines modalités caractéristiques de l’abstraction lyrique : jeux du vide et du plein, calligraphies, exploration des sinuosités de la ligne, présence du all-over, polychromatisme… Elle se pose comme un contrepoint lyrique au monde conceptuel.

La peinture et les dessins de Lizotte se déploient dans le registre de l’abstraction bien qu’une expressivité figurative presque fuyante émerge en filigrane. Les compositions révèlent de joyeux biorythmes : étrange beauté des électro­cardiogrammes, plans et sensations urbaines de Montréal et New York, mouvement de l’océan, du ciel et, surprise, une toile étale la bizarrerie et le grotesque d’un hallucinant insecte qui renvoie au test de Rorschach.

Afin de comprendre Réjeanne Lizotte, il faut évoquer une certaine réticence dans sa nature, qui explique en partie l’intériorité de l’expression de son art. « Elle avait une personnalité qui ne s’imposait pas, mais elle absorbait tout », observe la galeriste Janet Blais, qui a organisé la rétro­spective de l’œuvre de Réjeanne Lizotte. Le geste est souvent retenu, le trait délicat, dans un mouvement de finesse ; il déborde, s’épanouit aussi, dans une forme de jubilation graphique. L’œuvre avance en contrepoint, la ligne répond à l’à-plat, la tache au vide. Peu narratif, l’espace plastique demeure avant tout physique et émotif.

Native de Québec, Réjeanne Lizotte poursuit à un certain moment des études d’infirmière ; elle se réoriente et obtient un certificat en anthro­pologie. Elle étudie à l’École des beaux-arts de Québec et, par la suite, à l’Université Laval où elle obtient un diplôme en arts plastiques (1981). Dès son adolescence, elle assouvit son goût du voyage : son nomadisme se retrouve dans la genèse de ses œuvres. En 1981, elle visite le Pérou ; au cours des années suivantes, elle séjourne à New York où, fascinée par le jazz, la ville devient pour elle une sorte de deuxième foyer. Elle s’éprend de la France et de Paris, où elle fixe ses quartiers après le 11 septembre 2001. À New York, Toronto et Paris, Lizotte se produit souvent dans des bars et cafés, dans des performances de peinture rythmées par le jazz. Elle raffole des airs du saxophoniste John Coltrane.

En 2000, Réjeanne Lizotte visite le Japon, dont la peinture, l’estampe, la calligraphie – la séduisante utilisation du vide et du plein – se reflètent dans son art. Elle explore pas à pas la ligne et ses propriétés, les variations calligraphiques, la clarté et la saturation des couleurs. Elle adopte le kakémono, qui correspond à la notion de fenêtre : rouleau vertical accroché sur le mur, sur lequel elle déploie ses lavis et ses dessins calligraphiques.

À ses débuts, Réjeanne Lizotte est proche de l’abstraction géométrique et s’engage dans une figuration de la nature d’inspiration japonaise. En 1986, l’abstraction se manifeste chez elle pleinement, avec des bandes de papier sillonnées de lignes ondulées d’un joyeux chromatisme.

Elle s’inscrit dans une tradition bien représentée au Québec, celle qui met en valeur la gestualité ; le dessin nerveux traduit une vive sensibilité semblable à celle d’un Richard Mill (artiste résidant à Québec), ou d’un Marcel Barbeau, réputé pour ses formes géométriques…

En 1987, Réjeanne Lizotte trouve son cachet caractéristique avec des compositions all-over, en rapport avec l’exubérance de Pollock, ainsi qu’avec des essais calligraphiques et des investigations du vide et du plein, des volutes et des courbes, à l’instar des envols d’écritures japonaises. Le Violoncelle (1997) combine les notes bleues d’un ciel diaphane avec des fragments de spirale calligraphique.

Vers le début des années 2000, Réjeanne Lizotte explore la tache et le lavis. Éprise du quadrillage urbain, les allusions à Mondrian ne manquent pas dans ses œuvres. Cependant, la catastrophe guette. Dans 11 septembre (2002), le bordeaux et le rouge sang rompent des lances avec le gris et des nuances de noir qu’enveloppe l’orangé dans un embrasement commémorant la tragédie new-yorkaise de 2001. Par la suite, le blanc se fait rare dans ses toiles ; l’artiste explore des formes géométriques aux vagues connotations urbaines, ou encore des formes incurvées, selon un subtil schéma chromatique push-and-pull.

Traversant une époque marquée le plus souvent par des expressions dissonantes, elle a cherché une unité expressive, celle de son « espace intérieur ». L’art de Réjeanne Lizotte est relié à l’unité et, en ce sens, il répond au principe de « nécessité intérieure » de Kandinsky.

Réjeanne Lizotte (1947-2014) L’espace intérieur – Rétrospective
L’espace contemporain, Montréal
Du 17 au 29 octobre 2017