Trois jeunes photographes au Musée des beaux-arts du Canada

Le Prix Nouvelle génération de photographes, créé en 2017 par l’Institut canadien de la photographie du Musée des beaux-arts du Canada et son partenaire fondateur, la Banque Scotia, est destiné à récompenser le travail remarquable de Canadiens de trente ans et moins qui exercent leurs activités créatrices dans le domaine des arts photographiques. L’Espace PhotoLab de l’Institut présente les œuvres des trois lauréates, les premières à recevoir ce prix : Elisa Julia Gilmour, Meryl McMaster et Deanna Pizzitelli.

Une fois passé le très fugace sentiment d’homogénéité que confère l’atmosphère claire-obscure de l’Espace Photolab, c’est l’impression de diversité qui prend le dessus : diversité des origines ; diversité des préoccupations ; diversité des démarches artistiques ; diversité des techniques visuelles ; et, comme le révèlent les renseignements écrits et audiovisuels agréablement et efficacement présentés, diversité des objectifs. Mais dans cette diversité, un thème commun : la Femme. Images de femmes, visions de femmes, préoccupations et espoirs de femmes…

Trois murs d’exposition, trois exposantes, trois témoignages différents : à chacune son espace. Très vite, on échappe à la tentation de comparer les œuvres les unes aux autres. Très vite, on cède à l’envie de mieux comprendre et de mieux apprécier l’offre de chaque artiste.

Avec PhotoLab 4 et le Prix nouvelle génération de photographes, l’Institut canadien de la photographie ouvre une fenêtre sur la relève photographique canadienne, et rend hommage à la diversité et à la Femme.

Deanna Pizzitelli. De manière obsessive

Deanna Pizzitelli (Toronto, Ontario 1987) Autoportrait, grotte, 2017 Tirage gélatino-argentique viré (édition 7 de 10) Avec l’autorisation de Stephen Bulger Gallery Photo © Deanna Pizzitelli

Intitulée Koža (peau, en slovaque), la prestation de Deanna Pizzitelli comprend 36 tirages gélatino-argentiques virés et deux épreuves numériques à développement chromogène. Les photos, prises de 2015 à 2017 en Slovaquie et à travers l’Europe, le Canada et l’Amérique latine, ont été imprimées en 2016 et en 2017.

Robert Burley, professeur à la School of Image Arts de l’Université Ryerson, décrit ainsi sa démarche : « Le travail de Deanna dans la chambre noire ne s’est pas arrêté une fois émoussées l’excitation initiale et la nouveauté des matériaux analogiques. Au lieu de cela, elle a œuvré de manière obsessive, désireuse de faire de petites épreuves qui incorporent toutes les imperfections techniques que les générations précédentes de photographes se sont efforcées de gommer… Elle a clairement compris que ces épreuves multiples issues d’un même négatif n’étaient pas des versions différentes d’une seule photographie, mais bien des images distinctes. »

La photographe et auteure Deanna Pizzitelli détient un baccalauréat en beaux-arts de l’Université Ryerson et une maîtrise de l’Université d’Arizona. Aujourd’hui représentée par la Stephen Bulger Gallery de Toronto, elle a été artiste en résidence au Canada, en Islande et au Portugal. En 2017, elle a exposé à l’AIPAD : The Photography Show, à New York, et dans le cadre de Paris Photo. À l’aide de procédés surtout analogiques, elle explore les thèmes de la nostalgie, de la perte, du désir et de l’incertitude.

Meryl McMaster. Introspection et réflexion

Meryl McMaster (Ottawa, Ontario, 1988) Edge of a Moment [Au bord d’un moment], 2017 Épreuve à jet d’encre Avec l’autorisation de l’artiste et Katzman Contemporary Photo © Meryl McMaster

Sous le titre Edge of a Moment (Au bord du moment), la grande photo exposée au Photolab a été créée en Alberta, sur le site du précipice à bisons Head-Smashed-In (en pied-noir : Estipah-skikikini-kots), important site historique et culturel pied-noir, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

« Comme souvent dans mes œuvres, dit l’artiste, j’ai abordé ce projet avec l’objectif de mieux comprendre des récits conflictuels. Dans mon travail, je me tourne vers le passé pour mieux comprendre le présent. Pour y arriver, je crée souvent des images qui mettent en lumière les contradictions et les conflits inhérents à mon double héritage, dans l’espoir de provoquer des moments d’introspection et de réflexion sur ce que nous sommes et sur ce qu’il nous faut devenir. Avec Edge of a Moment, je veux attirer l’attention sur les conséquences considérables de la colonisation et sur l’impact, encore perceptible aujourd’hui, de la cupidité et du manque de vision. »

Née à Ottawa, la créatrice, artiste et photographe Meryl McMaster est d’ascendance crie des plaines et européenne. Son approche de l’autoportrait, s’inspirant de ses expériences de travail et d’exploration dans les régions éloignées du Canada, reflète la complexité de son patrimoine familial. Ses œuvres, qui représentent des personnages humains et animaux dans des environnements naturels, rappellent la mythologie des cultures autochtones et s’inscrivent dans le mouvement créatif lancé par la jeune génération de praticiens autochtones, intégrant photographie, performance scénique et production d’objets et de vêtements sculpturaux.

Elisa Julia Gilmour. Personnages réels, fictifs, historiques

Elisa Julia Gilmour, (Toronto, Ontario, 1988) Over their Own [Au-delà des leurs] (détail), 2014 Impression de projections d’un film 16mm Avec l’autorisation de l’artiste Produit avec le soutien de la ville de Toronto et du Conseil des Arts de Toronto, 2013 Photo © Elisa Julia Gilmour

À PhotoLab 4, Elisa Julia Gilmour présente Over Their Own (Au-delà des leurs), installation vidéo et audio créée en 2015, dans laquelle l’artiste étudie la complexité du rôle de mère par l’entremise de portraits photographiques et cinématographiques de personnages réels, fictifs et historiques. L’exposition de Photolab consiste en la juxtaposition de deux éléments, l’un dynamique et l’autre statique : d’une part, la projection en continu (environ 5 minutes) du transfert numérique du film 16 mm originel ; et d’autre part, une grille d’images fixes tirées du film, imprimées sur papier.

Le visionnement de la vidéo inspire au spectateur des sentiments complexes et parfois troubles, alternant inquiétude et hilarité. L’artiste s’explique : « Over Their Own est une réaction aux portraits photographiques de bébés tenus par une personne cachée, réalisés dans les studios du XIXe siècle. En raison des longues durées d’exposition, faire le portrait d’un bébé exigeait la présence d’une mère ou d’une gardienne cachée sous un voile ou derrière une chaise afin de s’assurer que l’enfant était bien immobile. L’œuvre comprend deux parties : une série de portraits animés qui inversent le procédé photographique du XIXe siècle en recouvrant l’enfant d’un voile, et une grille de photographies tirées de ces mêmes portraits. Si les films explorent le double rôle des femmes en tant qu’individus et mères, alors que celles-ci posent de façon statique (…) et sont attentives à leur enfant agité, les photographies bouleversent la temporalité en floutant l’enfant qui bouge pour mieux révéler la mère. »

Elisa Julia Gilmour vit à Toronto. À l’aide d’images fixes et animées, elle s’interroge sur les identités culturelles, familiales et sexuelles. En 2016, elle a créé Éperdument (Madly), installation vidéo à trois canaux accompagnée d’un recueil de nouvelles, sur le thème mythologique de la mazzere.

PhotoLab 4

Exposition du Prix Nouvelle génération de photographes. Musée des beaux-arts du Canada, du 13 avril au 19 août 2018