Rencontre étonnante de la photographie et d’une péninsule
Du 15 juillet au 14 septembre se tiendra la 5e édition de l’événement sous le thème Le visible et l’invisible. De grands noms ainsi que des artistes émergents, du Québec et du monde entier, viendront en personne dans la péninsule gaspésienne pour y présenter leur travail, y discuter d’enjeux actuels, faire de la photographie et, surtout, rencontrer le public. Treize municipalités, 800 km de côte, des colloques, des résidences, des programmes de médiation culturelle… Entrevue avec Claude Goulet, l’architecte de cet événement d’envergure.
Bruno Mainville – Comment s’est opérée la genèse de ce projet ?
Claude Goulet – Cet événement est né d’une première intervention qu’on a faite en photographie en 2008. Il s’agissait d’un programme de résidences d’artistes, Le parcours du point de vue, inspiré d’un concept similaire développé en France par l’artiste Jean-Daniel Berclaz. L’événement a été un succès, et les municipalités concernées se sont montrées intéressées à ce qu’il y ait une suite à l’histoire. Mais pour moi, poursuivre Le parcours n’avait pas de sens : je désirais pouvoir présenter une plus grande variété d’écritures photographiques. Je fréquentais alors pour le plaisir le Mois de la photo, la Maison européenne de la photographie, Les Rencontres d’Arles, entre autres. De fil en aiguille, en discutant avec différents intervenants, le concept des Rencontres est né.
Qu’est-ce qui définit cet événement, essentiellement ?
Ça m’apparaissait comme bien important, et c’est un des fondements des Rencontres, que les artistes soient présents sur le territoire (une trentaine cette année), parce qu’alors un lien se développe avec la population au fil des ans. Sauf exception, tous les photographes dont le travail est présenté viennent sur place et participent à la Tournée des photographes, où ils rencontrent le public. Et je tenais, pour la même raison, à ce qu’il y ait trois à quatre résidences par année. Par ailleurs, plutôt que de concentrer l’événement dans une seule ville, c’est le territoire gaspésien au complet qui est investi. C’est ce qui distingue les Rencontres de tout ce qui existe comme événement photo, et c’est ce qui frappe l’imaginaire des gens : la manifestation s’étend sur 800 kilomètres ! Nous n’avons pas de difficulté à convaincre les artistes de venir ; le projet a quelque chose de fou qui les séduit d’emblée.
Une autre particularité des Rencontres, c’est la façon dont nous collaborons avec les artistes. Par exemple, nous aimons suivre le travail d’un même artiste sur plusieurs années consécutives. Nous l’avons fait entre autres avec Serge Clément, Gabor Szilasi, Jocelyne Alloucherie, Maryse Goudreau… Pour nous, c’est important de développer une relation avec les artistes. Nous discutons toujours avec eux des lieux où leur travail pourrait être présenté et de la forme que l’installation pourrait prendre. Les artistes deviennent alors véritablement des complices. Cette année, à New Richmond, on présentera Falling Princess, le travail de Dina Goldstein, une Canadienne qui s’intéresse à l’univers des contes – La Belle au bois dormant, Blanche Neige, etc. Elle présente ces personnages dans des contextes tout à fait inusités, étonnants, et nous avons décidé de créer un tracé pour ses photographies dans le boisé du parc de la Pointe-Taylor ; les gens vont ainsi les découvrir aux détours d’un sentier forestier ! Quand on lui a proposé ce projet, l’artiste était très enthousiaste.
Les premières années, nos moyens étaient plus limités, mais au fil du temps et grâce à nos différents partenaires, notamment les municipalités, nous avons gagné en liberté. Cette année, par exemple, nous avons un projet de collaboration avec une architecte qui concevrait des espaces pour l’événement. Il s’agirait d’architectures simples qui pourraient être installées près de la mer, car nous avons peu d’espaces intérieurs d’exposition.
Oui, j’ai vu plusieurs des expositions de l’édition 2013, toutes sur des sites extérieurs, avec la mer comme arrière-plan. C’est évidemment un contexte magnifique pour contempler des œuvres d’art. Et c’est une façon d’intégrer l’art au quotidien des Gaspésiens, qui les voient pendant quelques mois et peuvent ainsi les apprivoiser. L’événement est donc en bonne partie une manifestation d’art public. Mais vous disposez aussi de salles d’exposition ?
Oui. Par exemple, à Marsoui, une toute petite communauté proche de Sainte-Anne-des-Monts, nous avons rencontré des gens extraordinaires et, avec leur aide, nous avons pu transformer une maison en espace d’exposition. Nous y avons présenté des grands noms de la photographie : cette année, on pourra y voir le travail de Laurent Villeret et Evgenia Arbugaeva ; la première année, c’est Gabor Szilasi qui y a fait une résidence. Celui-ci a tellement apprécié l’accueil qu’il y a reçu qu’il a fait don à la municipalité de l’ensemble des photographies, signées, de son exposition ! À Gaspé, nous travaillons avec le Musée ; à Grande-Vallée, nous exploitons le pont couvert ; nous travaillons aussi avec le centre d’artistes Vaste et Vague à Carleton-sur-Mer, partie prenante du programme de résidences d’artistes. À Paspébiac, sur le site historique du Banc-de-Pêche, sera présenté le travail étonnant de deux artistes dont j’ai fait la connaissance aux Rencontres de la photographie d’Arles, la Belge Rozenn Quéré et Yasmine Eid-Sabbagh, d’origine libanaise, qui ont gagné le prix Découverte. Il s’agit d’une installation qui, grâce à la photo et à la vidéo, raconte les espoirs, les amours, les déceptions, bref la vie, de quatre femmes libanaises qui ont émigré à différents endroits du monde. L’histoire collective et les histoires individuelles, la réalité biographique et la fiction s’y mêlent ; c’est une installation fabuleuse que nous sommes très heureux de présenter au public.
Vous avez également un programme de résidences ?
En effet. Nous collaborons avec Les Promenades photographiques de Vendôme. Cet événement comporte un programme semblable au nôtre. Nous avons établi une relation d’échanges : chaque année, nous recevons deux Français, et deux de nos photographes sont invités là-bas. Nous voulons développer des collaborations semblables avec des organisations allemandes et belges. Et chaque année, nous présentons le résultat des résidences de l’année précédente. Dans le fond, les Rencontres ne se limitent pas à des expositions, elles constituent un outil qui permet plein de choses, comme d’offrir d’autres plateformes aux artistes d’ici, c’est pour cette raison qu’on veut donner une dimension internationale à l’événement, non pas parce que ça paraît bien, mais pour ce que ça permet en termes d’échanges et de rencontres, de réseautage. Des commissaires étrangers viennent ici voir ce que nous présentons et peuvent découvrir un artiste québécois… ou un artiste serbe ou russe !
5e édition des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie VISIBLE. INVISIBLE
Du 15 juillet au 14 septembre 2014