Dispositif muséographique emblématique de la tradition statuaire qui vise la légitimation d’individus illustres ou la valorisation d’objets, le socle est de nouveau le sujet qu’explore la quatrième exposition de la réflexion sérielle STATUER. Les figures du socle, tenue cette fois au Centre d’exposition de l’Université de Montréal (UdeM).

Les deux premières expositions de la série commissariée par Emmanuel Galland ont d’abord été présentées en 2017 à Action Art Actuel, à Saint-Jean-sur-Richelieu, et à la Galerie B-312, à Montréal. Elles remettaient successivement en question le thème du monument, puis celui de la réappropriation et de la reconstitution. Dans la troisième réitération à la Galerie d’art Stewart Hall de Pointe-Claire, en 2018, le socle était autrement thématisé par une tension instaurée avec l’œuvre : l’« œuvre-socle » ou le « socle-œuvre ». Dans la plus récente incarnation de STATUER, Galland propose une déclinaison des significations du socle sous le concept de la réplique.

Sur l’un des murs accentués d’un jaune iridescent s’alignent les chefs-d’œuvre d’artistes québécois tels que Marcel Barbeau, Louis Comtois, Louise Masson et Alfred Pellan. Les tableaux sont disposés parallèlement aux sculptures réparties au centre de l’espace, lequel, par ailleurs, est balisé d’une ligne jaune. Pourtour carré qui reprend formellement les extrémités du prisme rectangulaire, cette subtile délimitation au sol s’appréhende comme le support d’une trame volumique protéiforme : mise en abyme réussie. Les parallélépipèdes, sortes d’analogies indicielles dans les propositions bidimensionnelles et tridimensionnelles, se répondent tous en écho.

Les quatorze artistes présents – individuellement ou en collectif – offrent une investigation de socles composites qu’ils s’approprient, répliquent, dupliquent, simulent ou imitent, et ce, sans que ceux-ci deviennent tautologiques. La figure du socle se décline ainsi en une succession d’objets et de sujets diversifiés, et non en une répétition unifiée.

Cette exposition d’envergure se révèle différemment des précédentes. Le socle n’est plus nécessairement remis en question : parmi les créations mimétiques, il n’est pas contesté, éclaté ou écarté, mais plutôt pleinement assumé. Il ne semble pas décalé de ses fonctions de présentation « classiques », basées sur la distanciation, la glorification, la sacralisation, la stabilisation et la surélévation. Ses utilités pratiques et ses qualités esthétiques signalent sa verticalité et, de surcroît, son autorité. La sélection d’« œuvres-socles » montre la condition élémentaire de l’œuvre et de son support. Ces derniers sont insécables et indissociables; l’œuvre est le prolongement de son socle et vice-versa.

Le socle n’est plus nécessairement remis en question : parmi les créations mimétiques, il n’est pas contesté, éclaté ou écarté, mais plutôt pleinement assumé.

Dans l’immense galerie du centre d’exposition, Galland concilie judicieusement les pratiques d’artistes de générations distinctes par l’intégration d’œuvres issues de la Collection de l’UdeM. Ainsi, l’exposition d’une rare densité – et avec énormément de subtilités – s’appréhende telle une chronologie substantielle qui retrace l’usage du socle et de la forme du parallélépipède vertical à travers l’art d’ici, d’hier à aujourd’hui. L’enchaînement de propositions sculpturales des artistes contemporains et des œuvres modernes picturales de la collection est organisé en une expographie quasi muséale. En effet, l’impressionnant déploiement de socles évoque celui que l’on retrouve dans un musée des beaux-arts, notamment par la conciliation d’espaces picturaux, sculpturaux, et même architecturaux. Avec un clin d’œil ironique, le commissaire avance un assortiment de créations iconoclastes qui déjoue et rejoue la possible monotonie institutionnelle.

Appropriations détournées

John Boyle-Singfield présente une reconstitution partielle de Condensation Cube (1963-1965), de l’artiste conceptuel Hans Haacke. Dans un cube hermétique superposé à un socle, le Coke Diet que Boyle-Singfield y a enfermé produit peu à peu en s’altérant de la condensation sur les parois de verre. Plutôt que d’utiliser de l’eau comme Haacke, l’artiste détourne l’œuvre originale par la manipulation d’un produit de consommation courante dénaturé. Pour sa part, le tandem Pierre&Marie s’approprie un guichet automatique bancaire sur lequel les logos d’oligopoles financiers se déclinent. Pourtant, l’écran de l’appareil recèle des pacotilles clinquantes et scintillantes. Difficile de discerner le vrai du faux… Emmanuel Galland, avec dérision, a ingénieusement positionné l’« œuvre-distributeur » à l’entrée de la galerie pour fourvoyer les visiteurs quant à sa véracité.

Vue de l’exposition RÉPLIQUES | STATUER. Les figures du socle — Partie IV (2019)
Centre d’exposition de l’Université de Montréal
Photo : Jean-Michael Seminaro

Imitations micro-

Mises en vitrine, les œuvres-miniatures des Montréalais Éric Cardinal, Éric Ladouceur, Mathieu Latulippe et Olivier Roberge révèlent des réalités insoupçonnées par des maquettes de constructions architectoniques ainsi que des représentations de promontoires ou de paysages dystopiques. Les contributions singulières de Latulippe font voir de menus individus qui animent des galeries miniatures de musées. Les micro-institutions sont symétriquement insérées dans des boîtiers de plexiglas, ce dispositif muséal classique. Roberge, quant à lui, propose deux paysages pittoresques réduits. Les panoramas vertigineux et nébuleux s’imbriquent à des socles adaptés aux visiteurs, qui sont tour à tour invités à monter sur des piédestaux afin de mieux observer la précision des micro­scopiques imitations.

Le cycle STATUER. Les figures du socle se poursuivra éventuellement par une cinquième partie qui illustrerait le thème potentiel de l’« animalerie-ménagerie », pour reprendre le terme du commissaire. Assurément, une autre exposition à (re)suivre et à (re)voir.


RÉPLIQUES | STATUER. Les figures du socle – Partie IV
Commissaire : Emmanuel Galland
Centre d’exposition de l’UdeM
Du 2 mai au 14 septembre 2019