L’exposition Résurgence, organisée à l’occasion de la 12e Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières et en collaboration avec l’Institut culturel Avataq, présente des linogravures réalisées dans neuf localités du Nunavik.

L’estampe fut à l’origine introduite dans les communautés inuit à la fin des années 1950 par l’artiste James Houston, qui adapte des techniques de la gravure japonaise. Elle devient alors rapidement un outil privilégié d’évocation des expériences individuelles et communautaires à une époque de bouleversements culturels, en permettant aux artistes de porter et de transmettre leur culture. Toutefois, bien qu’elle connaisse toujours une grande vitalité artistique, notamment grâce aux artistes de Kinngait (Cape Dorset) au Nunavut, l’estampe a souffert au Nunavik d’un déclin dans les années 1980, faute de soutien et d’intérêt de la part du marché de l’art. Cette exposition fait donc état des efforts menés pour revitaliser la pratique dans la région, par le biais d’ateliers organisés entre 2014 et 2019 par l’artiste allochtone Lyne Bastien¹. Ces ateliers se sont d’abord tenus à Puvirnituq, là même où fut créé le premier studio de gravure du Nunavik en 1961. Grâce au soutien de la commission scolaire Kativik, ils ont ensuite été organisés dans plusieurs communautés, offrant alors ce savoir aux regards actuels des Nunavimmiut, des novices jusqu’à plusieurs artistes chevronnés. Cette exposition, qui circulera ensuite au Nunavik, s’inscrit dans la continuité de ces efforts tout en cherchant à renforcer le rayonnement artistique de ce territoire.

Elaisa Annahatak, Truite de rivière (2018). Photo : Guy L’Heureux.
Elaisa Annahatak, Truite de rivière (2018). Photo : Guy L’Heureux.

Des deux cent cinquante œuvres produites, une soixantaine sont visibles dans deux salles du Musée d’art de Joliette. Elles ont été sélectionnées par les trois commissaires de l’exposition, soit Lyne Bastien et les artistes inuit Qumaq M. Iyaituk et Maggie Napartuk, qui ont elles-mêmes appris l’estampe auprès de Bastien. Napartuk et Iyaituk, en concertation avec cette dernière, ont ainsi tenu à montrer par leur sélection l’importance de leur culture, de l’attachement et de l’interdépendance que les Inuit entretiennent avec le territoire, et des liens intergénérationnels et communautaires. Il leur a fallu dépasser à l’occasion une pudeur provoquée par la crainte de renforcer certains des clichés péjoratifs qui circulent sur les Inuit. Par exemple, une œuvre de l’artiste Passa Mangiuk – qui marque par son expressivité – montre un Inuk mangeant de la viande crue. C’est seulement après les encouragements de Bastien que cette image est sélectionnée. Une gravure d’Elaisa Annahatak a induit une hésitation semblable, puisqu’elle montre son jeune fils tenant d’une main une carabine, et de l’autre son premier lagopède chassé. Et pourtant la pertinence de ces œuvres ne fait aucun doute : elles nous parlent de l’importance de l’autosuffisance alimentaire, de la transmission des gestes aux futures générations et de la valeur du partage communautaire.

Maggie Napartuk, Lunettes de soleil,
Maggie Napartuk, Lunettes de soleil, 2017. Photo : Institut culturel Avataq / Marie-Christine Couture 2020.

L’accrochage privilégie la simplicité du cube blanc pour mettre en valeur les gravures, accompagnées de deux estampes provenant des collections du musée, réalisées dans les années 1960 à Puvirnituq par les artistes Joe Talirunili et Davidialuk Alasua Amittu. Ces deux œuvres rappellent ainsi visuellement le lien qui unit, au-delà d’un demi-siècle d’écart, ces deux vagues de production artistique. Une quinzaine d’œuvres sont de plus accompagnées de courtes explications rédigées par Napartuk et Iyaituk. Ces quelques mots nous offrent alors un avant-goût des histoires illustrées et des émotions exprimées. Les œuvres sont ainsi infusées d’une riche qualité narrative et puisent dans un répertoire intarissable de récits quotidiens, d’histoires passées, de légendes et de symboles. Elles dépassent par ailleurs volontiers les limites qui ont pu être établies entre nature et culture, ou encore entre passé et présent. Certaines expriment la fluidité entre espèces au cœur des ontologies inuit, comme c’est le cas pour deux œuvres de Maggie Cain illustrant le passage métamorphique entre être humain et animal. Cette fluidité permet aussi à l’aîné et sculpteur Mark Tertiluk de faire part avec humour de ses observations des changements provoqués par les crises environnementales. Il nous montre ainsi un ours, chassé du Nunavut par la raréfaction des espèces, et adoptant les pratiques humaines de chasse pour assurer son prochain repas. D’autres artistes explorent le passé et le présent, et illustrent ce que les commissaires appellent l’interpénétrabilité de la tradition et de la modernité, pour mieux évoquer le futur et le devenir des sociétés inuit. Les objets et les artefacts, régulièrement le sujet central des œuvres, se font alors porteurs de la mémoire des artistes et de savoirs toujours d’actualité. L’accrochage même, alternant entre artistes et thématiques, laisse le public déambuler entre l’ancien et l’actuel, entre le mondain et l’extraordinaire, entre l’immensité des espaces et le confort des intérieurs, et retracer ainsi par lui-même la complexité et le dynamisme de la vie au Nunavik. 

1  J’adresse tous mes remerciements à Lyne Bastien qui a gentiment accepté de me rencontrer et de répondre à mes questions.


(Exposition)
ᓴᕐᖀᒋᐊᓪᓚᓂᖅ : ᐸᑎᒃᑎᒐᓕᐅᕐᓂᖅ ᓄᓇᕕᒻᒥ (2014-2019) 
Sarqiigiallaniq : Patiktigaliurniq Nunavimmi (2014-2019)

Résurgence : L’estampe Au Nunavik 2014-2019
Artistes : Mary Adams, Piatsi Ainalik, Davidialuk Alasua Amitu,
Cecilia Angnatuk, Elaisa Annahatak, Irrayu Anogak, Maggie Cain,
Putulik Ilisituk, Lucasi Iyaituk, Qumaq M. Iyaituk, Mattiusi Iyaituk,
Jessie Koneak Jones, Eva K. Kasudluak, Sara Lisa Kasudluak,
Passa Mangiuk, Siasi Mark, Maggie Napartuq, Johnny Oovaut,
Lisi Maggie Thomassie, Mary Paningajak, Louisa Pauyungie,
Ulaayu Pilurtuut, Manu Qaunnaaluk, Aida Qumaluk, Siasi Smiler
Irqumia, Joe Talirunili, Mark Tertiluk, Charleen Watt
Commissaires : Maggie Napartuk, Qumaq M. Iyaituk et Lyne Bastien
Du 2 Octobre 2021 au 9 Janvier 2022