Innovateurs, explorateurs des voies de l’abstraction actuelle, trois artistes des États-Unis qui marquent des territoires esthétiques originaux, exposent quelques-unes de leurs récentes œuvres à la Galerie d’arts contemporains. Lyrique plutôt que narrative, leur peinture se déploie dans la jubilation de l’espace lumineux, du jeu de la ligne et du chromatisme. Elle parle aux émotions : cette peinture se distingue par son dynamisme, en contraste avec certaines des tendances actuelles parfois trop marquées par un académisme contemporain.

Dès les années quatre-vingt-dix, Marjorie Minkin, Anne Low et Roy Lerner ont exposé leurs toiles à la Galerie d’arts contemporains à Montréal et dans d’autres lieux au Québec. Leur exposition commune sous le titre Peintures américaines actuelles au-delà du champ chromatique confirme leurs affinités et affiche les orientations récentes de leur peinture. Il est rafraîchissant de constater qu’une galerie montréalaise offre ce suivi des recherches d’un groupe d’artistes aux techniques apparentées, et il est particulièrement intéressant de noter qu’il s’agit d’un groupe de peintres des États-Unis.

Le sillage New New Painting

Actuellement, Marjorie Minkin, Anne Low et Roy Lerner travaillent dans le sillage du mouvement appelé au cours des années quatre-vingt-dix et pendant le début des années 2000, le New New Painting. En fait, ces peintres comptent parmi les pionniers de ce mouvement qui avait l’ambition de creuser davantage le sillon entamé par les artistes qui se réclamaient du champ chromatique (Color Field). Maintes œuvres offraient des espaces lumineux, des transparences, des fluorescences, des translucidités qui tiraient parti des propriétés du gel acrylique.

Cependant, après le tournant du millénaire, chacun de ces artistes a suivi son propre cheminement artistique. Si Marjorie Minkin exécute toujours des peintures sur toile, elle se risque avec succès à proposer des compositions sur des plaques de plexiglass (LEXCAN) où elle joue avec des gammes musicales de bleu, dont la familiarité troublante avec l’eau et le ciel, célèbre la nature à travers l’exploration des états de la lumière. L’œuvre de Minkin, avec son versant intuitif et méditatif – riche de ses incursions dans les profondeurs de la perception zen – s’apparente en esprit avec la peinture d’Helen Frankenthaler – œuvre de la mouvance expressionniste abstraite très marquée, elle aussi, par la méditation et la contemplation.

Dans une confrontation dramatique de traits horizontaux et verticaux en concert avec des couleurs primaires et intermédiaires, Anne Low suscite un ondoiement d’ordre psychique chez celui qui les regarde. Ses formes simples répondent à la pensée théorique de Kandinsky. L’artiste engage et retient le regard du spectateur. Au-delà des mots, elle réussit à nourrir l’esprit à travers une authentique intelligence visuelle.

En jouant avec des épaisseurs et des textures aux connotations géographiques qui sautent aux yeux, Roy Lerner produit une peinture sculpturale dont les reliefs s’inspirent des continuités et des ruptures propres aux théories mathématiques du chaos et des fractales. Le radicalisme de Lerner l’a conduit à questionner la nature même de la couleur. Il a aussi participé à des travaux de recherches technologiques qui lui ont permis de développer de nouvelles variétés de pigments. Jazzman à ses heures, Lerner est doté d’une curiosité tous azimuts qui s’exprime dans ses investigations picturales. Le jazz, c’est d’abord – ou seulement – l’émotion : la critique d’art new-yorkaise Karen Wilkin parle ainsi des « températures émotionnelles »1 qui dominent les toiles de Lerner. Ses compositions fourmillent d’allusions géologiques et géographiques. Par exemple, des saillies de couleur évoquent des îles, aux tons fauves, sillonnées par des conno­tations cartographiques qui surgissent dans ses peintures.

Fondé en 1978, le mouvement pictural de la couleur gel acrylique, formé dans la suite des grands courants américains des peintures du champ chromatique, comprenait, à l’origine, douze membres dont faisaient partie les peintres Marjorie Minkin, Anne Low et Roy Lerner. Cette mention a certes sa valeur historique ; cependant, les recherches actuelles de ces peintres vont au-delà de ces tendances initiales. Le terme en soi remonte à 1992, lorsque dans les textes d’un catalogue qui accompagnait une exposition collective à la galerie John Piltzer de Paris, le critique et conservateur américain Kenneth Moffet a, le premier, employé la dénomination New New Painting. Historiquement, le grand événement artistique à la Galerie nationale de Prague, en 2002, auquel participaient Low, Minkin et Lerner, consacre le terme New New Painting et le mouvement qui lui est associé. Peu après, de nombreuses galeries européennes organisent des expositions d’œuvres d’artistes affiliés au courant de la New New Painting.

Pour leur part, les trois peintres Low, Minkin et Lerner, tout en suivant les principes techniques auxquels ils ont contribué à donner naissance, poursuivent des pistes et des explorations personnelles, notamment sur les plans de l’optique et du chromatisme des couleurs.

Écouter la couleur

« J’explore les nuances des transitions de la lumière vers l’ombre », explique Marjorie Minkin. « J’aime les couleurs reliées aux minéraux, à l’eau, à la nature », précise-t-elle. D’ailleurs, les formes colorées ont un indiscutable effet tonique, que ce soit dans des créations sur toile ou sur plexiglass. « Chez Minkin, une certaine figuration émerge des formes qui sont totalement libres », écrit Kenworth Moffett2. La carrière de Marjorie Minkin est jalonnée d’expositions majeures aux États-Unis, en Corée du Sud, en Italie. Ses peintures font, par exemple, partie des collections du Musée des beaux-arts de Boston, de la Galerie nationale de Prague et de collections d’entreprises comme Citicorp à New York.

L’œuvre d’Anne Low s’accorde avec des repères tels que l’angle, la ligne, une direction déterminée. Une vigoureuse verticalité et une vigoureuse horizontalité font partie de l’esthétique d’Anne Low. « Je m’identifie actuellement avec l’aspect minimaliste que je tiens à sonder dans l’avenir », déclare l’artiste. Elle précise : « Il est question de la couleur : de l’écouter. Par endroits, elle collabore, d’autres fois elle renâcle. Il faut écouter la couleur. La couleur possède sa vie. » L’artiste a abondamment exposé aux États-Unis, mais aussi en République tchèque, en Belgique, ainsi qu’au Québec, notamment au Musée du Bas-Saint-Laurent à Rivière-du-Loup.

« Si vous regardez l’art figuratif, il est créé par des éléments constitutifs abstraits », explique le peintre Roy Lerner, dont les acryliques modelées en épaisseur évoquent paradoxalement des paysages figuratifs. L’œuvre de Lerner a été remarquée en 1984 par l’influent critique américain Clement Greenberg. D’abondantes balafres rappellent des entailles parallèles d’origine glaciaire qu’on aperçoit dans des formations géologiques lacustres du bouclier canadien. Depuis son enfance, Lerner fréquente les forêts de l’est de l’Ontario où sa famille possédait un chalet. D’ailleurs, Roy Lerner peut revendiquer des racines au Canada, puisque sa mère est née à Winnipeg.

Les joyeux réseaux de couleurs primaires en relief de Lerner tendent vers des quadrillages géométriques. Par endroits, il inclut le gel acrylique dans ses compositions. La géographie et la géologie du lieu influencent fortement sa vision picturale. « Je poursuis en quelque sorte la tradition des îlots de couleur ouverte par Riopelle et Borduas », souligne Lerner. Son lien affectif avec le Canada et le Québec ne peut être plus clair. Cependant, le peintre américain se distingue de ses illustres prédécesseurs en manifestant sa propre audace, associée à un esprit analytique d’exploration des formes : des traces résultant d’un pointillisme au chromatisme exubérant sont au rendez-vous. « En essence, dans ma peinture, on voit comment je constitue des structures, mais on observe aussi comment je les défais. Cette peinture, j’ose l’appeler fantasmagorique », affirme-t-il. « Elle est également comme une musique qui séduit. »

Roy Lerner compte un nombre important d’expositions individuelles et collectives à travers le monde ; quelques-unes à Toronto, ainsi qu’à la Galerie d’arts contemporains de Montréal. Beaucoup de ses œuvres font partie de collections publiques et privées prestigieuses. L’importante collection Lewis Cabot de Boston comporte une quarantaine de ses toiles. On peut mentionner la collection Pepsico, à Purchase dans l’état de New York, ou encore la collection de la R.A.I., la télévision publique italienne à Rome. 

(1) roylerner.com

(2) Kenworth Moffett.net/writings/marjorie-minkin

Peintures américaines actuelles au-delà du champ chromatique 
Trois maîtres des États-Unis
Galerie d’arts contemporains, Montréal
Du 14 octobre au 15 novembre 2017