La photographie est à l’honneur au MNBAQ. Trois expositions d’envergure lui sont consacrées ; elles nous mènent d’un univers à l’autre, d’un registre à l’autre ; elles circonscrivent l’art de la photo et sa raison d’être. Au cœur de cette Saison Photo qui révèle une variété d’approches, de genres et d’enjeux souvent opposés se trouve l’être humain.

Auteur-compositeur et interprète adulé de par le monde, c’est à titre de photographe de mode et de portraitiste professionnel que Bryan Adams fait son entrée au Musée avec Bryan Adams s’expose. Mise en circulation en 2013 dans plusieurs villes européennes puis à Calgary, il y a tout juste un an, suivant les tournées de concert du chanteur, l’exposition s’arrête à Québec, son ultime escale dans l’est du pays.

Adams mène une double carrière depuis la fin des années 1990, cumulant les honneurs et les distinctions. Régulièrement publié dans VogueHarper’s BazaarVanity FairInterviewElle, cofondateur de Zoo Magazine, deux fois lauréat du Lead Award en Allemagne, choisi portraitiste officiel de la reine Élisabeth II à l’occasion de son Jubilée d’or en 2002, la rock star, originaire de Kingston en Ontario et installée aujourd’hui à Londres, déclare que la photographie n’est évidemment pas qu’un simple passe-temps.

L’artiste a braqué son objectif sur de nombreuses personnalités de l’industrie de la mode, du show-business et des arts : Mick Jagger, Lindsay Lohan, Pamela Anderson, Mickey Rourke, Milos Forman, Louise Bourgeois, Oscar Niemeyer, Amy Winehouse, etc. Amis et collègues musiciens, acteurs, créateurs et mannequins composent ainsi le cortège de célébrités réunies dans le premier volet de l’exposition.

Nous découvrons là un photographe habile, tant dans la facture léchée de ses compositions que dans sa maîtrise des deux genres : celui du fantasme, de l’artifice et de la mise en scène impeccable qui font une bonne image de magazine de mode et celui du portrait affectif, en quête de vérité, qui laisse toute la place à l’expression individuelle.

Si, au détour, certaines photographies de studio semblent aseptisées et tendent à « objec­tiver » le modèle, d’autres, en revanche, plus intimistes, font bon usage de l’espace et de la lumière naturelle.

C’est toutefois en rendant hommage au courage et à la résilience de soldats britanniques gravement blessés en Afghanistan et en Irak qu’Adams, lui-même fils d’un militaire devenu diplomate, montre l’étendue de son engagement. Au-delà des traumatismes qu’ils ne cachent pas (membres amputés, visages défigurés), ses portraits, tirés de la série Wounded – The Legacy of War, livrent un percutant plaidoyer contre la guerre. Ses portraits de sans-abri, auxquels il redonne une identité au milieu des icônes populaires incarnant la beauté, attirent l’attention sur les causes qu’il défend et pour lesquelles il a mis sur pied sa propre fondation caritative.

En tout, 150 portraits, dont plusieurs inédits, passant du noir et blanc à la couleur, témoignent de la sensibilité de l’artiste à saisir la grâce, l’énergie, la détermination, voire la vulnérabilité et la dignité humaines, de ses sujets, qu’ils soient illustres ou anonymes.

À l’été 1950, le célèbre magazine Vogue commande à Lida Moser un reportage sur le Canada. Par un heureux concours de circonstances, la jeune New-Yorkaise limite son périple à la province de Québec en compagnie de Paul Gouin, alors conseiller culturel du gouvernement Duplessis, de l’historien folkloriste Luc Lacourcière et de l’écrivain et homme d’Église Félix-Antoine Savard, auteur de Menaud, maître-draveur. Elle n’aurait pu espérer meilleurs guides pour parcourir, depuis Montréal, via la Montérégie, Québec, Charlevoix, le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, ce Canada français dont elle s’applique à fixer l’âme sur pellicule.

Tout de la dynamique culturelle et de ses principaux acteurs, des particularités urbaines et rurales et de l’architecture l’intéresse, au point où, à l’automne, elle effectue un second séjour, cette fois relaté dans Look. Pour ce projet personnel de nature artistique, elle s’attarde à faire des rapprochements entre les visages d’enfants et ceux des anges sculptés collectionnés par Gouin, venus enrichir le corpus d’art religieux du Musée de la Province. Les enfants occuperont d’ailleurs une place très importante tout au long de son périple.

Pour la jeune Américaine juive, ce Québec en pleine mutation, entre tradition catholique et modernité, est une découverte. Poursuivant sa carrière, elle y reviendra à quelques reprises et y conservera des contacts chaleureux jusqu’à son décès à l’âge de 94 ans, le 11 août 2014.

Regroupant quelque 190 photographies, sur les 1 700 clichés réalisés alors, l’exposition 1950. Le Québec de la photojournaliste américaine Lida Moser propose un étonnant voyage dans le temps, teinté bien sûr par les intérêts ethnographiques de ses compagnons exceptionnels et par la culture visuelle de Moser, émanant de la photographie documentaire et sociale de la New York Photo League et de Berenice Abbott – dont elle fut l’assistante – et d’un certain réalisme poétique et humaniste inspiré de l’École française.

Sobre et se déployant tel un album souvenir intime, le circuit de l’exposition colle à l’itinéraire emprunté par Lida Moser. Se fondant à la foule dans les rues de Montréal et de Québec, elle capte la vie : les enfants jouant, les passagers en attente dans un terminus d’autobus, les immeubles et le reflet de la ville dans les vitrines de magasins.

Sur les routes de campagne, lors d’une halte prolongée ou en mouvement depuis la voiture, elle croque l’activité humaine sur le vif : les travailleurs au champ, en forêt ou sur la grève, les particularités du bâti vernaculaire, les cabanes de pêcheurs en Gaspésie.

Défilant sous nos yeux en petites épreuves noir et blanc, ce récit photographique est ponctué de rencontres extraordinaires avec l’élite intellectuelle et artistique du moment. Plusieurs portraits en font foi, parmi lesquels ceux de la troupe de théâtre Les Compagnons de Saint-Laurent ; des comédiens Gratien Gélinas, Jean-Louis Roux, Yvette Brind’Amour et Madeleine Lévesque ; des peintres Alfred Pellan, Stanley Cosgrove, Jori Smith et Jean Palardy, Suzanne Guité et Albert Tomi ; des écrivains comme Robert Choquette, Alain Grandbois, Roger Lemelin, et de beaucoup d’autres.

Avec la complicité d’un Lacourcière armé d’un magnétophone, dont la mission consiste à recueillir sur le terrain les témoignages de la culture populaire, Moser s’invite dans les cuisines des aînés et des conteurs, visite les ateliers d’artisans tels Médard Bourgault et Eugène Leclerc à Saint-Jean-Port-Joli, côtoie les membres de familles nombreuses sur lesquels elle pose un regard empathique.

Spontané, vibrant d’authenticité, car exempt d’effet spectaculaire, dans la pure stratégie du photojournalisme de l’époque, le travail de Lida Moser en sol québécois reste unique. Pour sa valeur historique, documentaire et esthétique, il offre un instantané convaincant.

La représentation du corps humain est omni­présente dans l’art de toutes les époques. La photographie, dont on a cru bien à tort qu’elle se ferait le reflet de la réalité, a depuis longtemps quitté le champ des apparences pour investir celui des illusions, de la manipulation et de la fiction. À l’ère des nouvelles technologies, de l’hypermédiatisation de l’image et de l’impossible perfection véhiculée par les publicités, qu’en est-il du corps dans l’art photographique actuel ?

L’exposition Incarnations, qui regroupe une trentaine d’œuvres majeures issues des collections du MNBAQ, aborde sous différents angles les questions d’identité, de conditions et de rapports humains. Elle rend compte d’expériences fabuleuses comme elle appelle un essentiel retour sur soi et sur l’autre.

L’ombre portée marquant le travail d’un Paul Lacroix ou d’un Michel Campeau serait-elle l’évocation de notre présence éphémère au monde et de l’inconnu qui s’y terre ?

Lorsqu’Evergone photographie sa mère allongée nue, dans la pose offerte de la célèbre Olympia de Manet, ce n’est pas tant sur ce corps vieillissant qu’il arrête son regard, mais sur l’humilité et la force du modèle aimé qu’il érige en icône de sa propre histoire. Le corps de la femme trouve d’ailleurs des échos à la fois érotiques et tragiques dans les œuvres d’Éliane Excoffier.

De chair nous sommes faits. La fêlure, au cœur des corps, triptyque surdimensionné de Geneviève Cadieux montrant deux lèvres entrouvertes encadrées de cicatrices, l’une des pièces maîtresses présentées, rappelle que le corps est aussi mémoire physique et émotionnelle, qu’il consigne à fleur de peau les traces de ce passé entre douleur et étreinte.

L’autobiographie documentaire et l’autofiction comptent parmi les moyens utilisés par Raymonde April ou Milutin Gubash pour se mettre en scène ou en évidence dans des récits qui ne semblent pas s’éloigner de la vie quotidienne.

En s’en prenant aux images idéales et factices que véhiculent les médias de masse, les artistes ne prétendent nullement leur substituer un reflet conforme à une réalité qu’ils se seraient appropriée. Ils proposent plutôt des jeux (découpages, montages, mises en scène, effets de miroir) destinés à questionner des vérités qui ont la particularité d’être toujours construites.

BRYAN ADAMS S’EXPOSE
Musée national des beaux-arts du Québec
Du 19 février au 14 juin 2015

1950. LE QUÉBEC DE LA PHOTOJOURNALISTE AMÉRICAINE LIDA MOSER
Musée national des beaux-arts du Québec
Du 19 février au 10 mai 2015

Musée régional de Rimouski
Du 14 juin au 7 septembre 2015

INCARNATIONS. PHOTOGRAPHIES DE LA COLLECTION DU MNBAQ DE 1990 À AUJOURD’HUI
Musée national des beaux-arts du Québec
Du 19 février au 10 mai 2015