L’exposition Napoléon, art et vie de cour au palais impérial nous accueille, en haut de l’escalier paré de tapis rouge de l’auguste Pavillon Michal et Renata Hornstein au Musée des beaux-arts de Montréal, avec une immense fresque inachevée ; cette gouache représente un panorama de Paris dans lequel des points de fuite bien nets tracent la perspective d’un ouvrage monumental pour lequel l’artiste aurait manqué de temps. Ainsi fut-il du règne de Napoléon Ier et du destin de son ambition de changer le cours du monde.

Avec 400 objets et œuvres artistiques issus de la collection du Musée et empruntés à de prestigieuses institutions françaises dont le Mobilier national et le Château de Fontainebleau, l’exposition Napoléon, art et vie de cour au palais impérial met en scène les aspects de la vie publique et privée de l’Empereur, lors de son accession au pouvoir comme Premier consul (1799) puis comme Empereur (1804). En fin de parcours, elle n’omet pas d’y faire figurer le souverain exilé (1814) et le prisonnier (1815), détenu aux antipodes jusqu’à sa mort en 1821.

Le mythe entourant le personnage de Napoléon Bonaparte a ceci de particulier qu’il présente des variables marquées d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique. Ainsi, les Européens dépeignent une figure ambiguë où Bonaparte se profile en héros ou en traître, tandis que l’admiration habituelle des Américains porterait sur le principe du self-made man qui a su sortir de sa condition pour s’imposer comme Empereur ! Cet enthousiasme sans borne pour la personnalité de cette figure phénoménale de l’histoire a animé tout le long de sa vie le collectionneur et donateur Ben Weider – fondateur de la Société napoléonienne internationale – dont l’importante collection léguée au Musée des beaux-arts de Montréal il y a 10 ans a servi de point de départ à l’exposition Napoléon, art et vie de cour au palais impérial.

Atelier de François-Pascal-Simon Gérard (1770-1837), Portrait en buste de Napoléon en grand habillement, vers 1805-1814, huile sur toile. Musée des beaux-arts de Montréal, collection Ben Weider. Photo MBAM, Christine Guest.

L’exposition propose au visiteur de parcourir les différentes Maisons de la cour impériale, lui permettant de l’appréhender autour des thèmes de la vie domestique. Les hautes tâches de gestion de la vie publique et privée de la famille impériale seront ainsi, pendant le règne de Napoléon Ier, confiées aux Grands chambellans. Par souci de paix et en vue de neutraliser une certaine classe, l’Empereur repêchera stratégiquement d’anciens aristocrates et les recyclera au service de ces Maisons : Grand aumônier, Grand maréchal, Grand veneur et Grand écuyer appliqueront le modèle de la monarchie à cette étrange démocratie. Enfin, le Maître des cérémonies, qui décidera de l’étiquette et appliquera le protocole, est également celui de qui dépendront les peintres de la cour. Ces artistes, à l’œuvre pour les commandes impériales, contribueront à la fabrication de l’image de ce monarque autoproclamé, indispensable instrument pour en imposer la suprématie.

Une image de marque

Au fil de la visite, l’exposition révèle les différentes couches de vernis qui englobent l’étiquette impériale. Cette initiative de mise en scène du pouvoir a été savamment élaborée ; inspirée largement par les usages des derniers représentants de la monarchie, elle ira jusqu’à définir l’esthétique du temps : le style Empire. Dérivé du néoclassicisme alors prépondérant, le style Empire a forgé l’image de marque de Napoléon. À l’esthétique classique associée à la frivolité et aux excès du style rococo, l’Empereur substitue une image de rigueur ! S’ils ne sont pas toujours orthodoxes, les symboles – abeilles, palmiers, branches de chêne et d’olivier – témoignent de ce décorum hybride, entre fonctionnariat efficace et majesté royale.

La notion de fabrication de l’image se déploie autour des activités de chacune des Maisons impériales. La chasse, les cérémonies liturgiques, les cortèges, la galerie de portraits (notamment les portraits de hauts fonctionnaires, un geste politique et une rupture avec le passé) : les objets de l’exposition témoignent, chacun à sa façon, de la stratégie qu’ils recèlent.

Le domaine des arts décoratifs, hautement sollicité, produit en chaîne des objets promotionnels à la gloire de Napoléon : porcelaines de Sèvres, soies lyonnaises, orfèvrerie, tapisseries et broderies d’une grande virtuosité attestent l’ostentation d’une image imposée tout en valorisant les savoir-faire. La dérive esthétique de ces commandes impératives aboutit souvent sur des créations iconoclastes – c’est une question de goût, bien sûr ! Il est toutefois fascinant de constater l’excellence des artisans qui ont œuvré à cette représentation de leur temps. Quelques objets exceptionnels, comme la table dite « des palais impériaux » en porcelaine pure et bronze doré, peuvent laisser songeur aujourd’hui, en ces temps de surconsommation et d’obsolescence programmée.

Ce n’est pas pour rien que cette dictature de l’image y a déjà déployé tant d’ardeur, car force est de constater aujourd’hui combien elle demeure résistante. 

Les textes de l’exposition offrent à l’occasion des petits récits et des anecdotes qui amènent le visiteur à découvrir certains détails cocasses ou troublants de la vie domestique de Bonaparte. Par exemple, le temps alloué pour les repas de l’Empereur workaholic (10 minutes le midi et 15 minutes le soir, montre en main), ou encore l’épouvantable statut de la femme sous Napoléon 1er : « La femme appartient à l’homme pour lui donner des enfants, comme le pommier appartient au fermier pour lui donner ses pommes. » Quand même insolite dans un contexte, somme toute, de réformes.

Gloire, exil et mort

Autant les Maisons de la cour impériale apparaissent fabriquées et empruntées, autant l’ultime salle de l’exposition est émouvante par l’ambiance déstabilisante qu’elle suscite. Dans cet espace épilogue, les murs sont noirs et la grandeur est passée. Il n’y a plus de tableaux allégoriques inspirés de la Rome antique, il n’y a plus de mise en scène de la magnificence. Pourtant, il y a encore un vivant, qui continuera à échafauder des plans jusqu’à la fin de sa vie.

Une volière de bois ornée de dragons, commandée par Napoléon auprès d’artisans chinois de l’île Sainte-Hélène, évoque le bout du monde. En bruits étouffés gronde la désapprobation ; au loin, les rumeurs de la victoire déclamée contre le dictateur, ce fauteur de troubles. Un insolite portrait de Napoléon sur son lit de mort, réalisé par Denril O. Ibbetson, est touchant d’humanité – on y décèle presque l’émergence des futurs mouvements de la peinture au XIXe siècle, vers le réalisme, en passant par le romantisme.

Des pourpres et des ors flamboyants au noir du deuil, les bouleversements surgis en une simple décennie sont prodigieux ! On se rend compte alors que tout ce faste s’est déroulé il y a à peine 200 ans. Ce n’est pas pour rien que cette dictature de l’image y a déjà déployé tant d’ardeur, car force est de constater aujourd’hui combien elle demeure résistante. 

Napoléon : art et vie de cour au palais impérial
Musée des beaux-arts de Montréal
Du 3 février au 6 mai 2018