Animateur, pédagogue et peintre depuis plus de cinquante ans, Seymour Segal ne cherche pas à plaire. Il peint ce qu’il veut, comme il veut. Il a résolument opté pour un style qui relève de l’expressionnisme critique avec lequel il endosse un rôle de critique et de prophète que rend acceptable une esthétique parée d’un incontestable plaisir visuel.

De quoi et de qui parlent les toiles de Seymour Segal ? De certains malheurs du monde : la catastrophe ferroviaire de Lac-Mégantic, les habitants de la Cisjordanie contraints de vivre à l’ombre d’un mur grotesque édifié par le gouvernement israélien. Le propos pictural de l’artiste adopte le mode narratif pour expliquer avec émotion et compassion le caractère tragique de la condition humaine. Seymour Segal se situe donc dans le fil d’une tradition qui défend l’idée que l’art prend la forme et l’ampleur d’un cri d’alarme.

On reconnaît à ses côtés les expressionnistes Jacob Steinhardt, Georg Grosz, Max Beckmann, Otto Dix, ou encore Philip Golub ou Georg Baselitz, parmi les néo-expressionnistes. Comment Segal, artiste dont la personnalité picturale est sensuelle et euphorique, en est-il arrivé à noircir sa palette ? « Ma position, rappelle-t-il, consistait à célébrer la vie et l’amour. J’ai aussi abordé des thèmes qui me sont chers, tel le hockey que j’ai pratiqué. Cependant, à l’image de Georg Grosz qui s’est senti obligé de dépeindre la crise sociale de Weimar et dont j’admets l’influence, depuis quelques années, je m’emploie à donner ma réponse à la violence humaine. C’est ce qui caractérise les œuvres présentées dans l’événement que j’ai intitulé La Regrettable réalité. »

Le mystère de ce qui s’est passé à Lac-Mégantic en incinérant quarante-sept habitants reste entier. Un train chargé de pétrole lourd laissé sans surveillance — sidérante négligence — s’est mis en mouvement au sommet d’une colline et, en déraillant, a percuté la petite ville : la cargaison s’enflamme et explose.

Seymour Segal, par sa maîtrise des gammes d’orangés et de jaunes, crée des précédents picturaux dans la représentation du feu. Le lieu de mémoire regorge aussi de ferrailles recroquevillées. « Lorsque je peins, je m’imagine à la place des victimes, au centre des flammes », explique le peintre. « Nous sommes victimes de la violence humaine et, de plus, nous y contribuons », déplore-t-il.

Seymour Segal rappelle les forêts sinistrées, les champs de bataille de la Prusse, les voies ferrées de l’Holocauste évoquées dans les grands tableaux d’Anselm Kieffer. Mais contrairement au peintre allemand qui traduit le silence « assourdissant » de ces sites, Seymour Segal se place au centre de la conflagration. Ses tableaux portent de magnifiques titres : 3000 degrés Celsius, Des gouttes de feu, Cocktail de trains…

Dans la série Paysage paradoxal, Segal s’avère fin connaisseur à la fois du paysage nordique québécois et de la tradition picturale du Groupe des Sept. C’est son côté post-moderne, car il adapte avec douleur et sarcasme la vision du rocher, des lacs et de la forêt à une réalité de désolation après des coupes à blanc sur des dizaines, voire des centaines de milliers de kilomètres carrés à travers le Canada. Le thème chamanique n’est plus celui de l’arbre de Tom Thomson, mais plutôt celui de l’arbre et de la terre écorchés vifs — très anthropomorphiques — criant de douleur. Les troncs étant sciés, la pollution fait le reste du travail.

Tout en adoptant la figuration, Segal comprend ce que Baselitz appelle « l’hallucination du psychique ». Le style saisit l’émotion insupportable. Aucune ambi­guïté ironique du message. À la fois, le dessin au fusain ou la peinture noire qui prolifèrent à travers les toiles — et les couleurs — sont charpentés, expressifs, débordants. De cette concurrence entre dessin et couleurs — au moyen d’une composition d’un certain classicisme — naît la tension qui exprime les drames. L’artiste remarque que le processus même de peindre devient visible.

Dans West Bank (Cisjordanie), Seymour Segal représente la vie rapetissée des Palestiniens qui doivent survivre à l’ombre du mur qui sépare leur zone d’Israël. L’ambiance est pétrie de désespoir : le mur est d’un gris oppressif, le ciel prend des nuances violettes, la végétation est d’un vert maladif qui reflète l’absurde de la situation.

Seymour Segal est innovateur en tant qu’interprète direct du désarroi : mais avec quelle tendresse ! L’esthétique de ses tableaux est pourtant jouissive. L’exposition La Regrettable réalité mériterait de circuler afin d’être accessible à un plus vaste public.

SEYMOUR SEGAL LA REGRETTABLE RÉALITÉ. Centre d’exposition de Repentigny. Du 13 juin au 19 juillet 2015.