Pour la première fois, une exposition multidisciplinaire originale explore l’interaction entre les arts visuels et la musique à Venise, de la Renaissance au Baroque.

En 2007, Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal, avait souhaité organiser une exposition consacrée aux instruments de musique vénitiens anciens de la collection du Musée de la musique, à Paris. En 2009, l’institution parisienne s’étant retirée du projet, le concept initial a alors été repris et modifié en profondeur par Hilliard Goldfarb. Conservateur en chef adjoint et conservateur des maîtres anciens au Musée des beaux-arts de Montréal, il est un éminent spécialiste de la Renaissance vénitienne. Splendore a Venezia réunit quelque 120 tableaux, dessins et estampes d’artistes ayant un lien avec la musique, tels que Titien, Bassano, Tintoret, Strozzi, Tiepolo, Longhi, Canaletto et Guardi, des instruments de musique anciens, des manuscrits et des partitions, et rend hommage à plusieurs compo­siteurs remarquables, parmi lesquels Monteverdi, Albinoni, Lotti et Vivaldi. Diverses pièces musicales accompagnent les visiteurs tout au long de cette présentation dont la mise en scène sonore a été confiée au musicologue François Filiatrault. L’exposition se déploie selon trois thèmes prin­cipaux : l’art et la musique dans la sphère publique ; l’art et la musique dans la sphère privée ; et art, musique et mythologie.

Devenue à partir du XIIIe siècle une incontestable puissance maritime et commerciale ouverte sur l’Orient, Venise tire sa prodigieuse richesse de sa flotte issue des chantiers de l’Arsenal qui sillonne toute la Méditerranée. Malgré son déclin progressif causé par la concurrence et l’expansion de nouvelles voies maritimes, grâce à son extraordinaire floraison artistique, l’éclat de la ville brillera jusqu’à sa conquête par le général Bonaparte en 1797. Dans cette Cité-État, la musique accompagne et souligne toujours les nombreuses célébrations officielles, les commémorations civiques et les rites religieux qui ponctuent la vie courante des Vénitiens. En témoignent des tableaux comme La visite du Pape Pie VI à l’église de San Zanipolo de Guardi ou, de Canaletto, la magnifique Fête de la Saint-Roch, prêtée par la National Gallery de Londres. Des fanfares de cuivre précèdent le doge et les membres du gouvernement dans des manifestations qui sont l’occasion tant d’éblouir leur entourage et leurs hôtes de passage que d’affirmer l’autorité qu’ils détiennent. Une rare estampe de grandes dimensions atteste du faste des cérémonies en complet contraste avec les portraits des doges Francesco Venier, peint par Titien, et Francesco Morosoni par Alessandro Piazza, austères souverains certes auréolés de gloire et de puissance. Sous le pinceau de Canaletto, le Bucentaure, une splendide galère dorée, ramène le doge vers le Môle, après son union symbolique avec la mer. Les chants des grands chœurs s’élèvent dans les églises transformées en salles de concert, tandis que les scuole, de riches confréries, et les ospedali, qui recueillent les orphelines, jouent un rôle important de mécènes et rivalisent auprès des artistes et des musiciens. Vivaldi, dont on peut voir dans l’exposition la première édition des Quatre saisons, compose de nombreuses pièces. Il est nommé maître de violon à l’Ospedale della Pietà, célèbre pour son chœur de jeunes filles qui y reçoivent une éducation musicale poussée. Grâce à ces institutions, la musique chorale vénitienne est appréciée à l’échelle de toute l’Europe. Une œuvre de Gabriel Bella montre des Orphelines chantant pour les Ducs du Nord devant une assemblée charmée par la musique et sans doute par les jeunes interprètes.

Dans la sphère privée, les nobles et les riches bourgeois soucieux de s’identifier aux valeurs associées à la musique se plaisent à poser, jouant d’un instrument : luth, théorbe et clavecin. Des œuvres de Titien et de Pietro Longhi dévoilent la leçon de musique d’une élégante jeune femme de la bonne société ou un concert en famille ; Tiepolo, lui, se plaît dans Le menuet à évoquer les distractions de la bonne société. Le musicien est un sujet volontiers abordé par les artistes : Le Concert du Titien, Le joueur de luth de Cariani, un Autoportrait au madrigade Marietta Robusti, la fille du Tintoret. Dans un environnement si favorable, les éditeurs de musique européens se pressent à Venise. L’exposition du Musée renferme un rarissime recueil de chansons, l’Odhecaton A (1501) d’Ottaviano dei Petrucci, la première partition imprimée avec des caractères mobiles. Les scènes de rue témoignent aussi de la popularité des chansons et de la musique qui font partie des spectacles offerts aux passants, comme on le voit dans Musique sur le Grand Canal de Giacomo Franco, Le Chanteur de Giovanni Battista Piazetta ou Musiciens de rue de Bernardo Strozzi. Le célèbre carnaval, quant à lui, offre une inépuisable source de divertissements, où la musique tient une place considérable.

L’opéra est devenu omniprésent dans la vie sociale et joue un rôle économique de premier plan. L’héritage de la mythologie classique inspire les thèmes des tableaux et des livrets d’opéra. Des œuvres du Tintoret, de Tiziano Aspetti et de Tiepolo sont représentées dans cette section de l’exposition où l’on trouve également des portraits tels que celui de la grande soprano Fuatina Bordoni, de même qu’un amusant ensemble de caricatures illustrant Farinelli, Caffariello, Antonio Campioni parmi d’autres chanteurs célèbres, réalisés par Antonio Maria Xanetti l’Ancien et montrés pour la première fois en Amérique du Nord.