C’est une rentrée réussie pour Stéphanie Béliveau. Dans une manifestation d’envergure, l’artiste tente de réconcilier, par le mode de l’installation, la nature, l’affect et le monde vivant.

Ayant pour titre Le soin des choses, l’exposition présentée à la Maison de la culture Côte-des-Neiges marque aussi une étape importante pour elle, car il s’agit de sa première exposition solo depuis huit ans. Son retour était attendu. Reconnue comme une dessinatrice de premier plan, la lauréate du prix Pierre-Ayot en 1997 utilise notamment la photographie et l’objet dans sa recherche sur la sollicitude, thème dominant de son œuvre. Celui-ci s’est manifesté au début de sa carrière par des créations – dessinées, peintes ou gravées – de nature figurative, qui représentaient des êtres affligés, meurtris et souffrants.

L’historienne de l’art Thérèse Saint-Gelais, commissaire de l’exposition et auteure du catalogue, indique que l’art de Béliveau se rapporte au care. Le terme, que l’on pourrait définir comme une éthique du soin mutuel, fut développé à partir des années 1980 par Carol Gilligan, une philosophe féministe américaine. L’esthétique du care, ou de la bienveillance, est très présente sur la scène artistique actuelle, et l’œuvre de Stéphanie Béliveau n’y fait pas exception. Cette recherche sur la compassion constitue d’ailleurs le fil rouge qui sous-tend sa démarche artistique depuis ses débuts.

Glaneuse miroir (2018)
Épreuve numérique au jet d’encre sur papier MUSÉO MAX
Photo : Stéphanie Béliveau
© Stéphanie Béliveau / SOCAN, 2019

Changement de paradigme

Si les œuvres de Stéphanie Béliveau illustraient d’abord une prise de position sur le désordre humain, la notion du « prendre soin des autres » migre aujourd’hui vers celle du « prendre soin d’elle-même » : la signification que l’artiste donne au care a en effet sensiblement évoluée au fil des ans et Béliveau insuffle maintenant une dimension plus intime dans sa démarche. En réponse à un passage difficile qu’elle a vécu, elle revisite et se réapproprie un lieu de son enfance en échafaudant dans la région de Charlevoix le projet à long terme dont résulte l’exposition. En faisant s’imbriquer des questions de l’ordre de l’identité et de l’environnement, notamment en amalgamant photographies, dessins et objets trouvés dans les eaux et sur les battures du Saint-Laurent, l’artiste mène ici une nouvelle quête esthétique. Devenu pluridisciplinaire, l’art de Stéphanie Béliveau s’inspire de courants contemporains aussi diversifiés que le sont l’Arte Povera, le Land Art ou l’art conceptuel.

Si les œuvres de Stéphanie Béliveau illustraient d’abord une prise de position sur le désordre humain, la notion du « prendre soin des autres » migre aujourd’hui vers celle du « prendre soin d’elle-même ».

La glaneuse, une image fondatrice

À l’image de la glaneuse, cette représentation célèbre du peintre Jean-François Millet, Stéphanie Béliveau regroupe des artéfacts, tirés de la nature ou fabriqués, qu’elle a ramassés, triés et rassemblés pour créer de nouvelles entités visuelles. On y retrouve par exemple un inventaire d’ossements qui se confondent dans la même vitrine avec des objets en plastique récupérés de la mer et qui revêtent presque la même forme, les mêmes dimensions. À force de glaner, de récupérer, de découvrir, l’artiste se transforme en une archéologue attentive : déchets, carcasses d’animaux et d’oiseaux, vêtements, végétaux ; tout ce que la mer transporte est récupéré, inventorié, traité. Il en résulte des compositions étonnantes, telle une installation de verres en plastique que le temps et la nature ont façonnés et enduits d’une patine se déclinant dans différentes nuances de gris. Notons aussi une série photographique où s’alignent, sur un mur de plusieurs mètres de long, des images du site maritime et de l’artiste elle-même en action. Le temps se déroule au travers de moments précis, triés, ordonnancés eux aussi comme les objets présentés.

Le soin des choses s’intègre dans un questionnement d’actualité à la fois ontologique et écologique. La destinée humaine et celle de la nature sont interdépendantes, d’où la nécessité que l’art véhicule des valeurs éthiques humanistes. En se centrant sur le « je », Stéphanie Béliveau veut établir avec l’autre des liens de prévenance et partager une même conscience morale vis-à-vis un monde ambiant en perpétuelle transformation.


Le soin des choses 
Commissaire : Thérèse Saint-Gelais
Maison de la culture Côte-des-Neiges, Montréal 
Du 13 décembre 2018 au 17 février 2019