Sylvain Lessard est un artiste qui travaille ses tableaux comme d’autres travaillent leurs sérigraphies ; il ajoute de la matière, une couleur à la fois. À l’inverse de ceux qui retirent de la matière, comme c’est le cas, par exemple, des artistes réalisant des linogravures ou des bas-reliefs, l’artiste ajoute la matière couche sur couche, couleur sur couleur, en ayant au préalable positionné un réseau de caches qui permettent de délimiter un espace strict pour la couleur.

Ce procédé laborieux se décline en plusieurs étapes. Elles exigent toutes une précision grandement méthodique. La première étape consiste à appliquer la matière de départ, soit l’acrylique transparent, sur le panneau de bois de Lauan. À la seconde étape, débute le masquage de la première matière devenue substrat. Vient, en troisième lieu, l’application de la matière acrylique colorée sur l’acrylique transparent. Ensuite, pour chaque nouvelle étape, une nouvelle couleur est appliquée en prenant soin de toujours masquer la couche précédente.

Sylvain Lessard est un artiste qui travaille ses tableaux comme d’autres travaillent leurs sérigraphies ; il ajoute de la matière, une couleur à la fois.

Le processus fait partie intégrante de l’œuvre. Chaque nouvelle application de couleur est déterminée par l’état antérieur ou par le tableau précédent. Chaque nouvelle version du tableau n’est rendue possible qu’à condition de prendre un certain recul par rapport à l’ensemble de l’œuvre picturale. L’artiste représente une nouvelle trame de caches, similaire à ce que les architectes appellent un plan masse, communément appelé « le plan Nolli », où chaque empreinte de bâtiment est imprimée au pochoir en noir, ce qui permet de « lire » la trame urbaine. Chaque nouveau jeu de caches est fixé sur la version déjà « périmée » du tableau en devenir.

Sylvain Lessard trouve également une source d’inspiration dans le Monument à la 3e Internationale, oeuvre emblématique du constructivisme russe, encore appelée La Tour de Tatline.

La superposition des trames de couleur qui s’entrecroisent confèrent au tableau une certaine épaisseur ; paradoxalement, il vaudrait mieux parler de profondeur, car, à la fin, une fois toutes les trames retirées, les sillons de non-matière apparaissent.

Sylvain Lessard est architecte ; il s’inspire pour construire ses tableaux de l’esthétique du mouvement constructiviste russe de 1920, dont l’une des grandes figures est l’architecte Lissitzky. Adhérant au suprématisme de Malevitch, Lissitzky s’en est détaché pour développer un suprématisme « tridimensionnel ». Il qualifie ses œuvres de « Proun », acronyme de Projets pour l’affirmation du Nouveau, qui prône une architecture innovante défiant les lois de la gravité.

Si les peintures de Sylvain Lessard trahissent l’esprit de la profession qu’il exerce, elles n’en attestent pas moins, au-delà de leur structure complexe et de la rigueur de leur élaboration proche de la virtuosité, une sensibilité d’ordre ludique. C’est un plaisir de promener ses yeux au fil des couloirs labyrinthiques et de leurs complexes agencements de couleurs. 

Sylvain Lessard  Utopies et paradigmes
Galerie Dominique Bouffard, Montréal
Du 1er mars au 1er avril 2018