Symposium international d’art-nature multidisciplinaire 2013. Reconfiguration d’un lieu
« Un territoire art-nature unique ! ». Cette phrase exclamative est inscrite sur une vue aérienne des Jardins du Précambrien dans le dépliant que le visiteur reçoit à son arrivée.
En ouvrant le document, le visiteur apprend que l’événement, qui deviendra annuel, est d’ores et déjà multidisciplinaire. Il a donc pu, s’il le souhaitait, rencontrer Robert Lalonde, Alexis Martin, Yolande Villemaire, Gilles Tibo, Jean Morisset et Normand Guilbeault au cours des mois de juillet et août. Je suis allée à l’inauguration de ce symposium reconfiguré. Voici un aperçu de ce que j’y ai vu et entendu.
Entendre et lire
Entendu ? Assurément. La création sonore a désormais sa place dans les arts visuels et l’œuvre que Wes Johnston a créée – ou plutôt dissimulée – dans la forêt est particulièrement réussie. Les sons sortent de petits haut-parleurs en bois qui sont aussi discrets que le sont généralement les mangeoires pour les oiseaux. Pour réaliser cet environnement sonore, l’artiste a juxtaposé des sons, issus du lieu, qu’il a amplifiés et des sons caractéristiques de la présence humaine contemporaine, tels que voiture, avion, cellulaire… Au visiteur de deviner leur provenance, comme le titre TBD (to be determined) l’invite à le faire. Quoi qu’il en soit, le mixage harmonieux des deux types de sons réunit de façon extrêmement plaisante nature et culture. La poésie a sa place depuis longtemps dans les Jardins du Précambrien, et René Derouin, cette année, a invité le remarquable performeur José Acquelin à faire résonner la parole poétique. Celui qui a écrit Nous sommes tous des sauvages, en collaboration avec la poète innue Joséphine Bacon, a intitulé son installation Projet zéro gravité : pyramide amirondienne, en hommage aux origines amérindiennes du territoire et à Gaston Miron. Le poète a invité les visiteurs à prendre place sur des chaises de la marque « Zéro gravité » et à diriger leur regard à travers la mire de la pyramide, faite de branches d’aulne, vers le ciel – le point zéro – avant de réciter un magnifique poème. En revanche, les visiteurs n’entendront pas les mots extraits de l’essai Penser / Classer de Georges Pérec. Écrits en lettres de feutre de couleur par la Chilienne Monica Bengoa, ils sont épinglés sur des arbres dans l’installation intitulée Les joies ineffables de l’énumération. La phrase, répétée en français, en anglais et en espagnol, s’enroule autour des troncs comme une plante grimpante, mais il faut faire des efforts pour parvenir à lire ce texte si pertinemment choisi pour illustrer la thématique de ce symposium : « l’énumération me semble être, avant toute pensée, la marque même de ce besoin de nommer et de réunir sans lequel le monde resterait pour nous sans repères… ».
Regarder
Regarder, c’est ce que tout artiste en arts visuels est en droit d’exiger de celui qui visite son exposition, mais qu’en est-il lorsque le lieu d’exposition est la nature ? Il peut arriver que l’artiste réclame une attention toute particulière. C’est le cas précisément pour Sherri Hay. En effet, le visiteur distrait risquerait de passer à côté de son installation Des millions de feuilles sans la remarquer. La multitude de petits disques rose fluo éparpillés dans la forêt fait penser à ces petits fruits que seuls les initiés sont capables de trouver. Impossible de manquer, en revanche, l’installation Le lieu de l’homme du collectif Zoné vert. Un écriteau invite même les visiteurs « à circuler dans l’œuvre dans le respect de la nature environnante ». Les grandes planches de bois, percées d’ouvertures géométriques, plantées dans le sol et réunies à leur sommet évoquent le cloître d’une chapelle primitive consacrée à l’écologie. Très dure, mais par là même d’une grande efficacité, est l’œuvre de Humberto Diaz Petites connexions. Des crayons de bois, que l’artiste a apportés de Cuba, sont enfoncés dans des troncs qu’ils semblent transpercer comme des flèches. Les humains ne se contentent pas de transformer les arbres en crayons et autres objets pour leur usage, ils blessent la forêt de multiples façons. Enfin, aussi surprenante que poétique est l’œuvre de Guillaume Labrie Présence géométrique. Au détour d’un sentier, un mur surgit, vestige d’une habitation qui n’a jamais existé. Un rocher le traverse, comme si l’architecte avait voulu respecter l’état du lieu, mais cette forme vide est récupérée, en quelque sorte, pour devenir un ornement au sommet de la maison. En bas, d’un côté, la sculpture d’un coyote donne l’impression que l’animal sort de cette demeure bidimensionnelle, tandis que, de l’autre côté, la même forme vide simule l’ombre du prédateur.
Le symposium, devenu annuel, a pris le virage de la multidisciplinarité. D’autres visiteurs viendront à Val-David pour assister à une rencontre- conférence avec un écrivain ou un metteur en scène, et ce sera peut-être pour eux l’occasion de découvrir l’art actuel. Les œuvres d’art de ce symposium reconfiguré habitent bien le territoire, mais l’amateur d’art visuel ne peut s’empêcher de regretter que la « population » ait diminué.
SYMPOSIUM INTERNATIONAL D’ART- NATURE MULTIDISCIPLINAIRE 2013 LIEUX / LIEUES
Val-David
Commissaire : Chloé Charce
Du 6 juillet au 20 octobre 2013