Symposium international d’art-nature multidisciplinaire 2015. Nous sommes l’Amérique
Le Symposium international d’art in situ célèbre ses vingt ans avec une exposition synthèse qui revient sur la notion de territoire, étendue cette fois aux Amériques.
Françoise Belu – Andrée Matte, vous êtes une commissaire habituée à monter des expositions thématiques. J’en ai d’ailleurs vu plusieurs au Musée d’art contemporain des Laurentides dont vous êtes la directrice artistique. J’ai même eu le plaisir de commenter dans Vie des Arts celle qui a eu lieu l’année dernière. Néanmoins, organiser une exposition internationale in situ représente un défi différent. Combien de temps avez-vous eu pour la mettre sur pied ?
Andrée Matte – Il y a un an que René Derouin m’a invitée à être commissaire pour le Symposium, qui fête ses vingt ans d’occupation du territoire. C’est moi qu’il avait invitée à être commissaire pour le premier Symposium, et il voulait aussi que l’un des artistes que j’avais sélectionnés alors fasse partie de la programmation. D’un commun accord, nous avons choisi le Péruvien Carlos Runcie Tanaka. De plus, tous ceux et toutes celles qui ont participé au Symposium depuis sa création – artistes, commissaires, poètes, musiciens et conférenciers –seront présents « en image » dans une vidéo projetée dans le pavillon d’accueil.
Il n’est pas évident de trouver une thématique forte pour un symposium dans lequel les œuvres doivent composer avec la nature. Quelle thématique avez-vous choisie?
L’Américanité. C’est une notion qui peut être appréhendée sous différents points de vue et j’aimerais montrer qu’elle ne correspond pas uniquement aux États-Unis, mais qu’elle couvre l’ensemble du continent, aussi bien l’Amérique du Sud que l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale, sans oublier les Caraïbes.
Puisque vous avez mentionné le nom de Carlos Runcie Tanaka, j’aimerais savoir comment cet artiste péruvien a abordé ce thème?
Carlos a décidé de s’exprimer avec un système qu’utilisaient les civilisations andines pour enregistrer la mémoire collective: le quipu, qui est fait avec des nœuds sur des chaînes de coton. Il veut ainsi transmettre ce qui caractérise les 40 nations qui constituent ce vaste continent en attachant des cordelettes, peintes aux couleurs des drapeaux de chacune d’elles, sur des branches. Celles-ci seront ensuite rassemblées au milieu d’un cercle, comme un immense bouquet. Au sol, tout autour, sera écrite en espagnol, en français et en anglais la phrase « Nous sommes l’Amérique ».
J’imagine qu’il y aura aussi un artiste mexicain, puisque René Derouin est très attaché à ce pays.
Oui, mais c’est moi qui l’ai choisi. Minerva Ayon est une jeune artiste qui va travailler sur la lettre H qui, en espagnol moderne, représente le silence. On a tendance à oublier que ce pays se trouve en Amérique du Nord, car il a les mêmes problèmes de violence que l’Amérique du Sud. Mais à peine enlèvements et meurtres ont-ils fini de faire la manchette des journaux que l’on n’en parle plus, car on ne veut pas les voir. Le visiteur sera invité à porter des lunettes de mica, qui créeront une distorsion,
lorsqu’il parcourra l’installation.
Je suppose que nous allons découvrir sous un angle imprévu des artistes d’ici.
Effectivement. Aucun artiste n’est plus d’ici que Richard Purdy, qui habite dans les Laurentides. Il va faire une installation qui
veut faire prendre conscience de la frustration qu’éprouve le promeneur qui ne peut plus jouir de nombreux points de vue magnifiques. La raison en est que ceux-ci ont été, en quelque
sorte, confisqués par de riches individus qui ont établi leur demeure sur ces sites. Il édifiera une immense palissade en bois d’ipé, un bois extrêmement dur et très coûteux. La palissade masquera la vue, tandis que des morceaux de casse-tête colorés, enfoncés dans le sol, laisseront imaginer les amusements de ceux qui vivent derrière cette clôture.
Aura-t-on cette année une installation cinétique?
Oui, j’ai invité Joëlle Morosoli. Elle aura évidemment son assistant personnel, Rolf Morosoli. Elle travaillera sur son thème de prédilection : la violence, en l’occurrence celle faite par les conquérants aux autochtones. Pour symboliser l’or qui a attiré les envahisseurs, elle entourera d’un bracelet en feuille d’or la partie supérieure d’un tronc d’arbre. Cinq couteaux
portant les armoiries des cinq pays qui ont envahi l’Amérique – Angleterre, France, Espagne, Hollande et Portugal – se balanceront de façon menaçante comme s’ils voulaient couper une corde faite avec des tissus des différentes nations
autochtones. En contrepoint à cette installation, Giorgia Volpe, qui est à la fois brésilienne et québécoise, manifestera le bon côté du métissage en suspendant dans les arbres des hamacs faits avec les tuyaux bleus qui sont utilisés dans l’acériculture.
Je suppose qu’il y aura aussi, comme les années précédentes, un artiste du « reste du Canada ».
Effectivement. Lea Bucknell est une artiste de la Colombie-Britannique. Elle installera un grand panneau, du style des panneaux publicitaires que l’on peut voir au bord des
routes, portant les mots « Migration Circulation Configuration » en français, en anglais et en espagnol. Elle a choisi ces mots, qui sont presque identiques dans les trois langues, pour parler de
la prise de possession d’un territoire, ce qu’on appelle ici claimer.
Quel que soit le pays dans lequel vivent les artistes dont vous m’avez parlé, ils appartiennent tous au même continent : l’Amérique. Mais, avez-vous invité un artiste pour qui l’Amérique est un territoire étranger?
Oui, j’ai invité un jeune artiste haïtien. Aucun artiste haïtien n’avait participé auparavant au Symposium. Damas Porcena va réaliser une station vaudou avec des chaises qu’il attachera à des arbres. Il créera aussi au sol un vévé, qui est un dessin symbolique de cette religion. J’aime l’idée qu’il apporte ainsi à l’Amérique une part de la richesse culturelle et spirituelle de
son pays.
Il me reste à vous demander le nom du poète qui sera invité à lire ses œuvres dans le Sentier de la poésie.
C’est un poète bien connu des Québécois : Jean-Paul Daoust. Mais il ne sera pas dans le Sentier de la poésie. Ses 12 haïkus seront imprimés sur des banderoles qui flotteront à différents endroits du site. Ainsi, le visiteur pourra voir tout le Symposium sans avoir à parcourir une trop longue distance.
Je vous remercie, Madame Matte.
SYMPOSIUM INTERNATIONAL D’ART-NATURE MULTIDISCIPLINAIRE 2015. AMÉRICANITÉ
Commissaire: Andrée Matte
Les Jardins du précambrien, Val-David
Du 4 juillet au 12 octobre 2015