Tammi Campbell
L’objet-peinture
Inspirée par le travail d’Agnès Martin, de Frank Stella ou de Sol LeWitt, Tammi Campbell évolue dans l’univers du modernisme et du minimalisme. Sa démarche, tout à fait singulière, met en perspective « la valeur attribuée à la peinture et au savoir-faire de l’artiste ». Revisitant le traditionnel trompe-l’œil, ses œuvres génèrent « anticipation et confusion » et elles rendent « caducs nos codes d’analyse ou de contemplation devant une œuvre d’art »1.
Celui qui entre dans l’exposition de Tammi Campbell et qui jette un « coup d’œil » furtif aux œuvres ne verra rien. Il sera passé à côté d’une expérience perceptivo-cognitive inusitée. Peut-être se demandera-t-il d’ailleurs quel est l’intérêt d’exposer un cadre enveloppé dans du papier bulle (Monochrome with Bubble Wrap and Tan Packing Tape, 2015), recouvert de pellicules transparentes (Monochrome with Poly and Tan Packing Tape, 2015) ou camouflé sous du carton (Monochrome with Poly, Corrugated Cardboard, and Packing Tape, 2015). C’est que l’artiste n’utilise aucune de ces matières d’emballage. Ses œuvres ne se composent pas de papier bulle, de pellicules transparentes, encore moins de carton. Tout est peinture ! L’artiste recrée à l’identique, mais de manière tout à fait surprenante, des matériaux secondaires servant traditionnellement à l’emballage et à la protection des œuvres – carton ondulé, pellicule translucide de polyéthylène, papier bulle, ruban adhésif, etc. Elle les met en lumière dans une forme d’hommage qui questionne l’objet artistique et l’objet-peinture. Ce dialogue prend ainsi la forme d’une « lutte contre la matière » comme aimait le dire Gaston Bachelard. Car nul doute que Tammi Campbell a dû passer des semaines, voire des mois, de recherches et de tests pour réussir le tour de force qui marque l’originalité et la puissance de son travail.
Que l’on adopte n’importe quel point de vue, que l’on se place à n’importe quelle distance, l’illusion est parfaite. Jusqu’à la réflexion de la lumière sur cette matière picturale qui pousse à penser et à constater qu’il s’agit de matière d’emballage. Notre cerveau est littéralement floué par le traitement plastique de la peinture. La charge expressive de la matière picturale est ici poussée à son paroxysme.
La composition plastique des œuvres de Tammi Campbell produit un conflit perceptivo-cognitif que nous avons du mal à résoudre. Dès que l’on apprend/comprend ce que c’est – ou ce que ce n’est pas –, on éprouve une totale incompréhension provoquée par une tension entre ce que l’œil perçoit et ce que notre cerveau veut/croit voir. Les œuvres de Tammi Campbell trompent notre cerveau pour mieux ravir nos sens. Si face à ce déni de la cognition, il est difficile d’entrevoir la réalité plastique des œuvres, paradoxalement, on ne peut qu’être fasciné par cet état de la matière. Et Tammi Campbell réussit parfaitement à nous montrer tout le potentiel expressif et significatif de cette même matière et de sa capacité transformationnelle. L’artiste permet également de porter notre attention sur d’autres lieux de la vie d’une œuvre que ceux de l’atelier, la galerie ou le musée. Où qu’elle aille, l’œuvre, bien emballée, poursuit sa route.
Tammi Campbell, New Works, Galerie Hugues Charbonneau (Montréal), du 21 novembre au 23 décembre 2015.
(1) huguescharbonneau.com/campbell-articles-reviews.