Un sentiment d’appartenance
La galerie The Blue Building a ouvert ses portes à Halifax le 11 février 2021 avec une exposition collective intitulée Soft Launch qui présentait le travail de six des sept artistes avec qui elle collabore1. Depuis, des projets solos de trois des membres de ce groupe ont constitué la programmation. Cependant, pour le premier anniversaire de la galerie, la directrice Emily Falencki a souhaité prendre une autre direction avec Staying, une exposition présentant le travail de huit artistes qui ont pris la décision de vivre et de travailler à Halifax.
Les artistes de Staying sont à différentes étapes de leur carrière : au tout début, à mi-parcours ou encore bien établis, comme c’est le cas de Michael Fernandes qui vit et travaille dans la région depuis le début des années 1970. Fernandes présente six œuvres photographiques/textuelles qui témoignent de son espièglerie habituelle, sans jamais éviter les émotions sincères. Quatre œuvres jumellent des photographies à des textes simples dans des polices de caractères de couleurs sur fonds blancs. The most caring most creative human ever lived Lives (2021) présente le regretté Cliff Eyland à l’avant-plan d’une photographie d’une répétition du groupe The Babbies Upstairs dont les deux hommes ont été membres durant des décennies. Cet hommage à un ami cher disparu est poignant et direct malgré le conceptualisme en apparence froid de sa forme. Don’t let the old man in (2021) montre Fernandes marchant le long de la digue d’Halifax, un paquet de plastique sous le bras. Cette allégorie de la recherche d’un refuge, d’une itinérance forcée, en dit long sur la précarité d’un artiste dans cette région, où même quelqu’un d’accompli, de la stature de Fernandes, peut être exclu.
À l’opposé, cinq jeunes artistes sont au tout début de leur carrière. La narration est au cœur du travail de Kayza DeGraff-Ford ; dans The Snake Charmer (2022), un cowboy endormi est enveloppé par deux grands serpents et un autre semble être enlevé par des extra-terrestres. L’œuvre textuelle de Ryan Josey, un poème imprimé au mur accompagné d’une photographie et d’un objet trouvé, s’appuie aussi sur la narration dans une rêverie sur les lieux et les relations. Sa peinture Alone w/o Allies (2019) est moins narrative qu’elle est imagée – le ciel et une architecture sont suggérés d’une façon résolument abstraite.
La contribution d’Ursula Handleigh est une photographie numérique gigantesque imprimée sur du lin, qui part du plafond à l’arrière de la pièce, descend le long du mur et s’étend sur presque les deux tiers du plancher jusqu’à l’avant de la galerie. Au sol, un dense décor urbain, apparemment tiré de Google Earth, se dissout de façon continue en un paysage de campagne dans un voyage accéléré partant du cœur d’un espace urbain effervescent jusqu’à l’espace littoral à ses extrémités.
L’artiste d’origine équatorienne Cinthia Arias Auz expose la sculpture El regreso al exilio (2021) (qui signifie « le retour à l’exil » en espagnol, sa langue maternelle) qui consiste en un oreiller en résine moulée déposé directement au sol. La cavité, laissant deviner l’emplacement où la tête s’est reposée, est remplie d’un liquide composé d’eau et de teinture blanche qui s’évapore au fil de l’exposition, laissant un résidu poussiéreux aux abords du creux. L’œuvre suggère que c’est durant le sommeil que nous retournons à l’exil – peut-être parce que rêver dans sa langue d’adoption est un double exil.
Melanie Colosimo, When is a fence a ladder? (2021-2022) Nylon réflecteur, polyester. Édition 1-4 de 6, 229 x 94 x 23 cm chq. Photo : Ryan Josey. Courtoisie de The Blue Building Gallery
Dans une série de peintures et dans une animation de papier découpé, Jenny Yujia Shi parle également de quitter son foyer en se concentrant sur l’absence de racine du migrant et sur sa recherche de stabilité. This Does Not Authorize Re-Entry (2021), une animation image par image de quatre minutes trente faite de papier découpé, est une méditation envoûtante et sinistrement belle sur la migration humaine, les choses que nous pleurons et ce que nous transportons avec nous.
Melanie Colosimo expose cinq œuvres sur le thème du contrôle de la foule. Ses dessins de barrières métalliques, utilisées pour bloquer les manifestations ou encore pour contrôler la circulation piétonnière, sont apposés à When is a fence a ladder? (2021-22), une série de quatre sculptures de tissu de ces mêmes barricades de contrôle de foule. Reliées et accrochées à partir du plafond, les œuvres créent une échelle souple qui ne forme plus une barrière, mais une sorte de chemin.
William Robinson présente une œuvre qui évoque l’isolement et l’introspection expérimentés par plusieurs d’entre nous durant la pandémie de COVID-19 qui semble interminable. Mushroom Kit I (2021), une photographie grand format, présente une batterie disposée dans ce qui semble être un sous-sol et sur laquelle on voit la croissance abondante de champignons. Incongrue, humoristique et triste dans un certain sens, l’œuvre suggère efficacement le sentiment d’arrêt que la pandémie a rendu endémique pour tout le monde.
Falencki promet que Staying est la première d’une série d’expositions explorant le lieu. Après avoir vu cette édition, nous anticipons la suite avec impatience.
(Traduction) Catherine Barnabé
La version originale anglaise est publiée sur viedesarts.com
1 Galerie commerciale d’art contemporain dirigée par une artiste, The Blue Building a été fondée par Emily Falencki qui « travaille avec sept artistes à la carrière établie qui possèdent des liens solides avec la région atlantique. Falencki et ses collaborateurs et collaboratrices utiliseront l’espace pour promouvoir une grande diversité d’artistes qu’ils et elles souhaitent soutenir et présenter au Canada atlantique à travers des expositions commissariées et d’autres programmations. » (Traduction libre) Tiré du site web de The Blue Building https://www.thebluebuilding.ca.
(Exposition)
STAYING: A GROUP SHOW
COMMISSAIRE : EMILY FALENCKI
GALERIE THE BLUE BUILDING
HALIFAX, NOUVELLE-ÉCOSSE
DU 11 FÉVRIER AU 23 AVRIL 2022