Pour sa 7e édition, la Foire en art actuel de Québec (FAAQ), repoussée du 20 novembre au 6 décembre à cause de la crise sanitaire, a développé une offre entièrement en ligne afin de remplir son mandat qui est de stimuler le marché de l’art de la capitale nationale et d’accroître la découvrabilité de la relève artistique, dont cette année, douze artistes de la région de Québec.

Cette cartographie commissariée de la création contemporaine est un événement incontournable et reconnu du milieu culturel national depuis sa création en 2013, mais prend un sens encore plus essentiel dans le contexte actuel où l’accès à l’art fut restreint par les fermetures forcées des espaces de diffusion dans les derniers mois.

La FAAQ a la particularité d’être la seule foire commissariée au Québec. Ce faisant, elle se distingue des événements commerciaux traditionnels en proposant un format d’exposition (plutôt que des kiosques). La proposition commissariale de Dominique Fontaine était ambitieuse – présenter un plus grand nombre d’artistes (vingt-cinq) et offrir une « façon autre de faire des expositions ». Son concept : dresser une constellation qui témoigne de la vitalité de la scène artistique québécoise et canadienne.

La recherche de la commissaire d’expressions et de voix singulières, peu représentées dans les circuits institutionnels et marchands, est une quête qui a abouti à une sélection d’artistes issus de diverses traditions artistiques et à une proposition d’œuvres sans hiérarchie de support : œuvres picturales et sculpturales, mais également des pratiques expérimentales et conceptuelles, des œuvres vidéo et d’art numérique. On pourrait dire – pour faire écho à un mot dans l’air du temps (numérique) – que la Foire exprime un véritable désir de décentralisation d’un système traditionnel.

Cette cartographie commissariée de la création contemporaine est un événement incontournable et reconnu du milieu culturel national depuis sa création en 2013, mais prend un sens encore plus essentiel dans le contexte actuel où l’accès à l’art fut restreint par les fermetures forcées des espaces de diffusion dans les derniers mois.

Souvent moins présentées en contexte marchand, les œuvres numériques, vidéos et GIFs incluses à la Foire témoignent d’une intention absolument pertinente et actuelle qui mérite d’être soulignée. On ne peut d’ailleurs passer sous silence la participation d’Oli Sorenson, artiste numérique, maître du remix et d’installations immersives et discursives qui sont présentées aussi à l’étranger. Avec une pratique performative qui remet en question les normes institutionnelles et qui propose des œuvres multifacettes, la FAAQ donne à voir une sélection d’œuvres, dont deux impressions numériques d’écrans fracassés tirés des performances Video Pistoleto, faisant écho peut-être à celle présentée en 2016 à Québec dans le cadre de la Nuit blanche. Par ailleurs, la série d’œuvres picturales géométriques et colorées que l’on peut découvrir sur le site Web de la FAAQ est tirée d’une plus vaste installation numérique, Objets de l’anthropocène, qui sera notamment présentée au centre d’exposition Plein sud du 22 mai au 3 juillet 2021. Ces images, que Sorenson cite des œuvres de Peter Halley – influencé par la prison panoptique de Michel Foucault –, sont transposées en peintures, en impressions et en animations numériques. L’artiste médiatique Joan Berthiaume offre aussi une proposition qui interroge les valeurs capitalistes qui dictent notre quotidien par l’entremise des technologies et des médias. Sa pratique est influencée par les pionniers de l’art vidéo, dont Nam June Paik, comme on le constate avec son installation vidéo Dispositif no 3 (2019) que l’on pouvait acquérir à la FAAQ. On y retrouve d’ailleurs ses GIFs, particulièrement intéressants – et très abordables. Nous découvrons aussi à la Foire les œuvres de Commonolithic (Tom Watson), artiste d’origine britannique, gradué de la maîtrise à Concordia en 2018 et dont le CV et les présentations à l’étranger sont impressionnantes. Il explore dans sa pratique les limites de la matérialité grâce aux technologies numériques, en s’interrogant notamment sur la manière dont les images deviennent des objets. Ses œuvres Bell 1/2 et Bell terrain (2020) consistent en des images arrêtées de mondes qu’il crée en réalité virtuelle – pour ce cas-ci, Finishing Bell (2020). Sur le site Web de l’artiste, il est d’ailleurs possible de faire l’expérience de Tempsspace, une exposition dans laquelle le visiteur peut prendre part aux œuvres en réalité virtuelle après avoir créé son avatar.

La FAAQ, se distinguant par son format d’exposition collective et son mandat de donner une vitrine à des artistes qui opèrent généralement sans représentation d’un galeriste, était un espace tout indiqué pour la présentation de ces œuvres médiatiques, mais aussi des démarches installatives (Magali B. Marchand, Luca Fortin, Isabelle Lapierre, Valérie Potvin, Amélie Proulx), et performatives (Kaël Mercader, Camille Turner). Ce désir de donner à découvrir passe aussi, pour cette 7e édition, par une proposition diversifiée d’artistes qui traitent dans leurs œuvres de décolonialisme, de culture populaire ou d’identité diasporique comme Rajni Perera, Eddy Firmin, Marie-Hélène Cauvin, Andrew Jackson et Camille Turner.

Commonolithic, Bell, 1/2 (2020)
Impression numérique, jet d’encre sur photo rag 308 gsm, monté sur Dibond (non encadrée) 76 x 61 cm
Courtoisie de la FAAQ

Et la médiation, dans le numérique ?

À la différence des foires dites traditionnelles, comme la foire Papier ou Art Toronto, présentées sous forme de kiosques loués par les galeries participantes, la FAAQ accueille des artistes plutôt que des galeries. Ces événements n’agissent pas seulement comme moteur du marché de l’art, mais surtout comme un espace de rencontres et une opportunité de médiation et d’éducation à l’art. C’est là d’ailleurs où les foires composées de galeristes sont avantagées, puisque le travail du marchand est justement de défendre ses artistes, et donc, la médiation avec les visiteurs se fait de manière plus directe. Il convient de mentionner que ce contact est d’autant plus important dans la présentation d’œuvres des nouveaux médias parce qu’elles exigent des connaissances et des compétences techniques plus approfondies de la part d’un public qui n’est peut-être pas encore familier avec ce type de support. Avec les défis additionnels en provenance des modèles virtuels, où il est plus difficile d’entretenir une relation avec son audience, la FAAQ a opté pour la création de capsules audio avec chaque artiste, et elle met de l’avant la modélisation en 3D de quatre ateliers à Québec – ceux de Laurence Belzile, Isabelle Lapierre, Valérie Potvin et Amélie Proulx. Malgré ces efforts, la médiation n’a pas su être optimisée sur, et en dehors de, la plateforme « virtuelle » : des quatre galeries partenaires de la Foire, seule la Galerie 3 a proposé une exposition satellite en marge du programme des œuvres d’Amélie Proulx. Pourtant, les galeries sont les seuls lieux où il est actuellement possible de « physiquement » voir des expositions.

En somme, le tournant numérique paraît s’être effectué dans le contenu plus que dans la forme. La FAAQ, dernier événement de commercialisation de l’art de l’année 2020 au Québec, portait probablement les attentes élevées de la part d’un public fatigué des Zoom et des expériences statiques. Au cours des derniers mois ont défilé de très (trop) nombreuses initiatives numériques qui ne permettent pas toujours de générer un environnement fédérateur, collaboratif et actif puisqu’elles ont été créées rapidement en réaction aux fermetures des espaces de diffusion. Nombre de voix du milieu de l’art se sont d’ailleurs élevées dans les derniers mois, à la suite des nouvelles mesures gouvernementales, afin de décrier le manque critique de ponts vers le public dans un secteur qui semble invisibilisé : la culture. La Foire en art actuel de Québec, comme plusieurs autres événements numériques, est peut-être le symptôme d’un phénomène plus large : l’essoufflement collectif d’un secteur à qui l’on demande perpétuellement de se « réinventer », porté à bout de bras, sans suffisamment de ressources humaines ni financières. Offrir un espace d’échanges entre les acteurs du milieu, les artistes et la collectivité est pertinent et nécessaire, aujourd’hui peut-être plus que jamais.


7e édition de la FAAQ 
Commissaire : Dominique Fontaine
Exposition virtuelle : 2020.foireartactuel.ca
Du 20 novembre au 6 décembre 2020