Yoko Ono – Icône de l’avant-garde
Pionnière de la performance et de l’art conceptuel, musicienne, vidéaste et activiste politique, Yoko Ono est devenue une figure emblématique de l’art d’avant-garde au milieu du XXe siècle.
Influencée par Dada, adepte de l’anti-art, elle participe dès la fin des années 1950 à la remise en question des pratiques traditionnelles de la création artistique au contact du musicien John Cage et de George Maciunas, l’instigateur du mouvement Fluxus1. Mariée de 1956 à 1963 au compositeur japonais Toshi Ichiyanagi, elle organise des performances-concerts dans le loft que son mari et elle habitent sur la rue Chambers à New York. De grands noms du milieu de l’art le fréquentent, dont Marcel Duchamp, Peggy Guggenheim et le sculpteur minimaliste Robert Morris.
Commissariée par Gunnar B. Kvaran, directeur du musée d’art contemporain Astrup-Fearnley d’Oslo, et Cheryl Sim, directrice générale de la Fondation Phi, l’exposition met en relief l’exceptionnelle contribution de Yoko Ono à l’histoire de l’art. Les deux volets qui la composent permettent au public d’acquérir une meilleure connaissance de la vie et de l’œuvre de l’artiste.
Les instructions
La première partie présente des œuvres s’étendant du début de sa carrière officielle en 1961 jusqu’à aujourd’hui. Sous le titre Les instructions de Yoko Ono, le spectateur déambule devant des œuvres inachevées qui l’invitent, comme Peinture pour enfoncer un clou à coup de marteau (1961-2019), à prendre part à sa réalisation ou à la modifier selon les directives édictées par l’artiste. Avant même Sol LeWitt, Yoko Ono délègue aux visiteurs une responsabilité dans la fabrication d’une œuvre d’art. Comme le soulignent les deux commissaires, la participation est un facteur déterminant dans l’abolition de l’unicité de l’œuvre, car celle-ci peut être réalisée simultanément par plusieurs personnes, de différentes façons. Ainsi, au lieu d’être un objet précieux et sacré, l’œuvre devient chez Ono une construction éphémère de communication physique et mentale par l’utilisation du son, de la littérature et de l’intervention humaine dans l’espace. Dans le domaine des arts, cette attitude est à l’époque qualifiée de révolutionnaire et l’artiste américano-japonaise se voit attribuer par de nombreux observateurs, y compris les commissaires, le titre de pionnière de l’interdisciplinarité et du décloisonnement des disciplines artistiques. Dans Les instructions, les mots revêtent une grande importance. Ils se parent d’une dimension narrative et poétique qui pousse le spectateur à forger, selon la directive proposée, sa propre représentation d’un fait, d’un concept. Il peut s’agir d’écouter sa propre respiration ou de visualiser dans son esprit la construction d’une peinture. L’objet n’existe plus, les idées priment.
Yoko Ono et John Lennon
En 1966, Yoko Ono expose à Londres à la Galerie Indica, cofondée par John Dunbar, Barry Miles et Peter Asher, figures centrales de l’avant-garde artistique londonienne. Considéré dès sa fondation comme un centre de diffusion expérimental, ce lieu reçoit notamment l’appui financier de Paul McCartney.
Yoko Ono y expose le 9 novembre 1966 la fameuse pièce Peinture au plafond, peinture du oui. C’est à la veille du vernissage que John Lennon rencontre pour la première fois celle qui deviendra son épouse et avec qui il s’engagera en faveur de la paix ainsi que dans la production de nombreuses œuvres sonores. Pensons aux enregistrements Unfinished Music: Two Virgins, réalisé en 1968, et Yoko Ono/Plastic Ono Band, qui date de 1970. La rencontre, puis le mariage avec l’ex-Beatle assurent à Yoko Ono une présence médiatique mondiale.
Les fameux bed-ins illustrent l’engagement des deux artistes contre la guerre du Vietnam. Pendant plusieurs jours, couchés dans le lit de leur chambre d’hôtel, ils reçoivent des personnalités issues de différents horizons, dont de nombreux journalistes, dans le but de promouvoir la paix. Bien que le bed-in de Montréal (26 mai au 2 juin 1969) ait eu lieu après celui d’Amsterdam (25 au 31 mars 1969), il a suscité de fortes retombées à la fois musicales, politiques et médiatiques grâce notamment à l’enregistrement sur place du tube Give Peace a Chance par l’ingénieur du son québécois André Perry. Cette chanson fut un succès planétaire. Absente lors du vernissage à la Fondation Phi, Yoko Ono a envoyé aux médias un message mentionnant que la propagation de la paix est aussi urgente aujourd’hui qu’à l’époque du bed-in de Montréal. Elle espère que l’exposition contribuera à sensibiliser et à mobiliser la nouvelle génération relativement à cette urgence, car les individus, dit-elle, ont le pouvoir de changer les choses.
Pionnière de la performance et de l’art conceptuel, musicienne, vidéaste et activiste politique, Yoko Ono est devenue une figure emblématique de l’art d’avant-garde au milieu du XXe siècle.
Yoko Ono en spectacle à Montréal en 1961
Complémentaire aux deux volets de l’exposition, une dernière section retient l’attention. Commissariée par Caroline Andrieux, de la Fonderie Darling, elle s’articule autour de la participation de Yoko Ono à la Semaine internationale de musique actuelle de Montréal. Organisé en août 1961 par le musicien Pierre Mercure, ce festival se veut transdisciplinaire. Parmi les participants, l’on retrouve, entre autres, les compositeurs John Cage, Iannis Xenakis, Karlheinz Stockhausen, Serge Garant et Pierre Mercure lui-même. Y figurent également le chorégraphe Merce Cunningham, l’artiste américain Robert Rauschenberg, sans oublier le sculpteur québécois Armand Vaillancourt et les danseuses Jeanne Renaud, Françoise Sullivan et Françoise Riopelle. Le 6 août 1961, Yoko Ono offre une performance intitulée Un pamplemousse dans le monde du parc, présentée à la Comédie canadienne, ancêtre du Théâtre du Nouveau Monde. Elle y effectue la lecture d’un texte sur un enregistrement de musique atonale, de rire et de discours inaudible. Le programme mentionne qu’il s’agit d’une création mondiale. La métropole est donc sans conteste l’un des endroits importants qui ont jalonné les débuts professionnels de l’artiste, mais notre découverte ne s’arrête pas là. La tenue de la manifestation démontre le grand dynamisme de la scène avant-gardiste québécoise de l’époque, en particulier celle de la musique électroacoustique alors en plein essor.
Pierre Mercure a déclaré qu’il faisait de l’automatisme en musique. Bien qu’il n’ait pas signé le Refus global en 1948, le musicien a été néanmoins un proche collaborateur de plusieurs des signataires du manifeste et son festival s’inscrivait dans une nouvelle phase de la modernité québécoise. Malheureusement, faute de moyens financiers, la Semaine internationale de musique actuelle de Montréal ne connut qu’une seule édition.
L’exposition Liberté conquérante de Yoko Ono démontre en quoi l’artiste, maintenant âgée de 86 ans, a été une visionnaire et une créatrice hors norme. Après Montréal, l’exposition s’arrêtera en 2020 à Amsterdam, l’autre ville mythique des bed-ins du couple Ono-Lennon.
(1) Sous l’impulsion de George Maciunas, artiste, galeriste et éditeur, Fluxus apparaît au début des années 1960. Le mouvement englobe aussi bien les arts visuels que la musique et la littérature. Les artistes qui s’en réclament réalisent des concerts et des happenings, publient des livres et des revues, produisent des objets… L’humour, l’absurde et la dérision sont au cœur de leurs démarches. Visant à abolir les frontières entre les disciplines artistiques ainsi qu’entre les créateurs et le public, Fluxus se définit comme un non-mouvement produisant de l’anti-art.
Yoko Ono: LIBERTÉ CONQUÉRANTE / GROWING FREEDOM
Les instructions de Yoko Ono L’art de John et de Yoko
Commissaires : Gunnar B. Kvaran et Cheryl Sim
La Fondation Phi pour l’art contemporain, Montréal
Du 25 avril au 15 septembre 2019