(Texte) MYLÈNE LACHANCE-PAQUIN
L’invitation à écrire sur les quarante ans de l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) a été, pour moi, l’occasion de lever le voile sur une structure que j’associais jusqu’ici presque exclusivement à deux événements phares : Plural et Galeries Weekend. Je dois l’admettre, je savais peu de choses des missions, des rôles et des actions concrètes de cette association. Et comme tout ce que je ne comprends pas m’intrigue, j’ai accepté ce mandat avec curiosité et enthousiasme. Ce texte propose donc un regard à la fois subjectif et non exhaustif sur une organisation qui, depuis quatre décennies, contribue activement au rayonnement des galeries d’art contemporain 1.

Plural, foire d’art contemporain, œuvres : Nadia Belerique et Kyle Alden Martens (2025). Montréal. Avec l’autorisation de l’AGAC. Photo : Vivien Gaumand
LES FONDEMENTS
L’AGAC a vu le jour en 1985, à une époque où le paysage artistique local se structurait encore timidement. Fondée sous le nom d’Association des galeries en art contemporain de Montréal (AGACM), elle avait pour mission de défendre et de promouvoir les pratiques émergentes contemporaines. Progressivement, son mandat s’est transformé et affirmé à l’échelle nationale. Aujourd’hui, l’AGAC œuvre à la reconnaissance et à la prospérité du marché de l’art contemporain au Canada en soutenant ses galeries membres, en défendant leurs intérêts, en sensibilisant le public au collectionnement et en rendant l’art contemporain accessible. Pour y parvenir, l’Association déploie un ensemble d’initiatives, de services et d’outils souvent méconnus, mais essentiels à la vitalité et à la pérennité du secteur.
UN RÉSEAU STRUCTURANT ET UN ENCADREMENT ÉTHIQUE ET JURIDIQUE
Pour bien comprendre ce qu’est l’AGAC (et ce qu’elle fait), il faut d’abord s’intéresser à la trentaine de galeries qui en sont membres et qui répondent à des critères précis : être actives sur le marché primaire, représenter officiellement des artistes (et non simplement collaborer ponctuellement avec elleux), avoir pignon sur rue et se consacrer de façon soutenue à la diffusion d’œuvres d’art contemporain de pointe. Guidée par une volonté d’excellence, l’AGAC a établi des balises éthiques et juridiques destinées à encadrer les relations entre galeries et artistes. Ainsi, dès leur adhésion, les membres s’engagent à respecter un code déontologique rigoureux qui promeut des pratiques exemplaires. L’Association a notamment conçu, en colla boration avec des juristes spécialisés, un contrat type liant galerie et artiste. Ce document, accessible gratuitement en ligne, permet de clarifier dès le départ les modalités de la relation professionnelle : fréquence des expositions, répartition des frais de production et des revenus de vente, etc. Ces ressources contribuent à professionnaliser les pratiques et à instaurer des bases contractuelles saines, équitables et durables.
FAIRE RAYONNER LE MILIEU
Le milieu des arts visuels contemporains fait face à des obstacles persistants : méconnaissance du public, sentiment d’illégitimité de ce dernier à l’idée de franchir la porte d’une galerie, perception tenace que l’art contemporain est inaccessible tant intellectuellement qu’économiquement… À cela s’ajoute un déséquilibre médiatique important, les arts visuels ne bénéficiant que d’une couverture sporadique en comparaison avec les milieux cinématographique ou musical. Et ce qui ne génère ni foule ni engouement manifeste peine à attirer investissements, commandites et subventions. Tout est lié.
Pour répondre à ces défis, l’AGAC a mis en place, en collaboration avec divers partenaires, de nombreuses initiatives depuis sa création. On pense d’abord à des événements aujourd’hui disparus comme le Gala des arts visuels (2011–2014) ou le Rallye des galeries (2010–2012, 2018), qui consistait en un parcours immersif associant découvertes artistiques, dégustations de vins et bouchées gastronomiques. Ce concept se rapproche de l’actuel Galeries Weekend, lancé en 2021, qui invite le public à explorer, sur quatre jours, les galeries de Montréal (puis, dès 2022, celles de Toronto) à travers des parcours par quartiers et une programmation festive d’activités gratuites. L’événement transforme la visite traditionnelle en une expérience conviviale mêlant expositions, rencontres, brunchs, conférences et ateliers.
Une autre initiative marquante de l’Association est la foire annuelle d’art contemporain, un pilier qui a su se réinventer au fil des décennies. Lancée en 1987 sous le nom Entrée libre à l’art contemporain, cette foire était la seule du genre au Canada à l’époque. Devenue la Foire d’art contemporain en 1994, puis Le Salon du printemps (2002–2004), elle a alors intégré une dimension réflexive avec conférences et rencontres professionnelles, affirmant ainsi son rôle de plateforme critique et fédératrice. Intitulée la Foire Papier de 2007 à 2022, c’est aujourd’hui sous l’appellation Plural que cette tradition se perpétue. Véritable carrefour de diffusion, de rencontres et de réflexions, Plural incarne la vitalité renouvelée du marché de l’art contemporain canadien, tout en élargissant ses frontières vers des perspectives internationales. L’événement, qui ne cesse de fracasser des records d’achalandage, contribue à établir Montréal comme pôle incontournable de la scène artistique contemporaine.

Forum (2018). Montréal. Avec l’autorisation de l’AGAC. Photo : Jean-Michael Seminaro
Parmi les autres leviers mis en place par l’AGAC pour soutenir et faire rayonner les pratiques artistiques, l’attribution de prix occupe une place de choix. Ces distinctions, remises annuellement en collaboration avec la Ville de Montréal, visent à reconnaître les artistes émergent·e·s et la pérennité de certaines carrières artistiques. Créé en 1996, le prix Pierre-Ayot célèbre l’excellence de la nouvelle création en arts visuels en s’adressant spécifiquement aux artistes en début de carrière. Il agit comme un marqueur de reconnaissance institutionnelle précoce et constitue souvent un tremplin important. Le prix Louis-Comtois, instauré en 1991, s’inscrit quant à lui dans une logique de continuité. Il récompense la qualité, la constance et la singularité du travail d’un·e artiste à mi-carrière, dont la pratique contribue de manière significative à l’enrichissement du champ des arts visuels à Montréal.
LE TRAVAIL INVISIBLE
En parallèle de ces événements et de ces activités de diffusion, l’AGAC déploie un travail de fond structurant, souvent invisible. On y mène une veille active et des collectes de données sur le marché de l’art ; on documente les réalités et les défis vécus par les galeries d’art contemporain. Cette recherche essentielle alimente des réflexions stratégiques que l’Association partage avec ses membres afin de les accompagner face aux bouleversements (économiques, politiques, sociaux) qu’ils rencontrent au fil du temps. L’AGAC joue aussi un rôle de relais d’information : elle diffuse les résultats de ces analyses, éclaire les tendances du secteur et outille ses membres pour leur permettre de faire face aux transformations du milieu.

Plural, foire d’art contemporain (2023). Montréal. Avec l’autorisation de l’AGAC. Photo : Jean-Michael Seminaro
Autre volet discret mais essentiel de son action, l’AGAC s’investit dans des collaborations interinstitutionnelles pour renforcer les réseaux de diffusion de l’art contemporain. En tissant des liens avec d’autres associations, foires et réseaux professionnels, elle participe à l’élargissement de la circulation des œuvres, des idées, mais aussi des publics. Parmi ces partenariats structurants, la collaboration avec d’autres associations de galeries et de foires, telles que NADA (New Art Dealers Alliance) ou Art Toronto, témoigne d’un désir mutuel de copromotion. Ces alliances, ponctuées de présences croisées, d’invitations réciproques et d’échanges de visibilité, permettent non seulement de mettre en valeur les galeries membres sur la scène nationale et internationale, mais aussi de favoriser la mobilité des collectionneur·euse·s, des commissaires et des professionnel·le·s du milieu d’un événement et d’une ville à l’autre. Ces synergies s’inscrivent dans une vision à long terme : celle de bâtir un réseau solidaire et agile, capable de faire croître la vitalité du marché de l’art contemporain.
UNE ÈRE DE RENOUVEAU
Après quarante années marquées par des débuts modestes et plusieurs défis, notamment financiers, l’AGAC entre aujourd’hui dans une nouvelle phase de son développement. Forte d’une première planification stratégique quinquennale récemment élaborée, l’Association se dote d’objectifs clairs, structurants et porteurs. Ce plan, qui sera présenté à ses membres et soumis à l’approbation, trace les grandes lignes d’un avenir où l’AGAC souhaite consolider ses acquis tout en affirmant son rôle de leader au sein du milieu de l’art contemporain. Entourée d’une équipe solide et engagée, elle entend poursuivre son travail de fond et multiplier les initiatives qui contribueront à faire rayonner les galeries, les artistes et, plus largement, le marché de l’art au Québec, au Canada et au-delà.

Entrée libre à l’art contemporain (ELAAC) (1987). Montréal. Avec l’autorisation de l’AGAC
1 L’autrice souhaite remercier Anie Deslauriers, directrice générale de l’AGAC, ainsi que Simone Rochon, directrice des communications et du marketing, pour leur disponibilité et les informations détaillées qu’elles lui ont transmises à propos de l’AGAC.