(Texte) SANDRINE CÔTÉ et TANHA GOMES
Numéro 278
Numéro 278
Petit guide pratique pour un banquet imaginaire est un projet de création à volets multiples amorcé en 2021 à Montréal, en pleine pandémie. Ce sont des échanges avec des intervenantes communautaires œuvrant en sécurité alimentaire qui l’ont fait naître. À partir de ces discussions, nous avons cherché à créer des espaces de célébration, de partage et d’abondance pour faire acte de résistance poétique face à la précarité, à l’insécurité et à l’isolement, d’autant plus exacerbés en cette période de crise sanitaire que nous traversions.
Chaque volet du projet a été mené en collaboration avec différentes communautés dans le but d’explorer de nouvelles façons d’accueillir, de prendre soin et d’imaginer des rapports – personnels et collectifs – fondés sur le respect, l’équité et la solidarité. Le premier volet s’est développé entre 2021 et 2022. Le second, Le brunch¹, réalisé au printemps 2024 en collaboration avec le centre Turbine², a réuni un groupe d’aînées et des élèves de cinquième année de l’école primaire Denise-Pelletier³ (Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles) autour d’une série d’ateliers explorant le dessin, la céramique et l’écriture poétique. Ensemble, nous avons cocréé un espace d’écoute et d’échanges afin de concevoir un happening artistique prenant la forme d’un grand banquet festif.
Notre pratique en tant qu’artistes et pédagogues encourage un mode de création nourrie par le partage d’idées et d’expériences avec diverses communautés. Dans ce texte, nous aborderons plus particulièrement la collaboration que nous avons menée avec les jeunes, et explorerons les façons de valoriser leur pensée créatrice en privilégiant une approche fondée sur le dialogue et l’écoute active. Nous croyons que les enfants détiennent des savoirs importants, capables de nous guider vers de nouvelles façons d’imaginer la solidarité et le vivre-ensemble.
Pour nous, le banquet symbolise la souveraineté alimentaire, l’accessibilité et la célébration. Lieu de discussions et de découvertes, la table à manger est une image récurrente dans notre projet. Nous avons donc amorcé le processus de création avec les jeunes en les invitant à imaginer un espace de rassemblement : une table infinie où toutes et tous seraient les bienvenu·e·s. La suite des activités s’est structurée autour de ces notions. Notre rôle d’artistes était d’encourager la libre expression des élèves tout en les accompagnant dans la concrétisation de leurs idées. À certains moments, il s’est agi de condenser leurs propositions, de soulever des contradictions ou de leur rappeler certaines contraintes de l’événement (horaire, sécurité, restrictions alimentaires, etc.) – non pour freiner leur imagination, mais pour les aider à affiner une vision cohérente et réalisable du projet.
Au fil des six ateliers, nous avons proposé des activités semi-dirigées mêlant réflexion et création, laissant aux jeunes une grande liberté pour exprimer leurs désirs et leur sens esthétique en lien avec la planification du banquet. Dans un esprit ludique, collaboratif et horizontal, nous avons exploré ensemble les différentes composantes de ce happening. Chaque rencontre a été consacrée à la conception d’un aspect du banquet : menu, vaisselle, décor, ambiance, musique, etc. Façonner à la main les bols, assiettes et gobelets destinés au banquet a été un moment marquant pour les jeunes. Ils ont découvert une nouvelle technique, celle du pot pincé, tout en éprouvant du plaisir à créer un objet utile, tangible, qu’ils et elles pourraient conserver et dont ils et elles pourraient être fier·ère·s. Ces ateliers de céramique se sont déroulés en plusieurs étapes : le façonnage de la terre, le temps de séchage, le sablage des pièces et le décor à l’aide de sous-glaçures.
Il est aussi important de souligner qu’une relation de confiance et de complicité était déjà bien établie entre l’enseignant, Abdenour Deguiche, et ses élèves, ce qui a grandement facilité notre accueil et nos interactions avec le groupe. Nous avons été touchées par la qualité des liens qu’Abdenour entretenait avec ses élèves, par la grande écoute et la profonde empathie qui les caractérisaient. Cette relation de respect mutuel créait une dynamique de classe saine et respectueuse des diff érentes réalités de chacun·e. Grâce à sa connaissance fine de ses élèves, Abdenour a pu nous accompagner avec sensibilité tout au long du projet, tant dans notre approche globale que dans nos interactions avec certain·e·s jeunes en particulier.
Le banquet, événement de clôture qui s’est tenu au belvédère de Pointe-aux-Trembles, a concrétisé la vision collective développée tout au long des rencontres. Ce projet a renforcé notre engagement envers des processus de cocréation, révélant la richesse des échanges et le potentiel à la fois poétique et relationnel qu’offre une approche dialogique et artistique avec des enfants.
¹ Ce projet a été rendu possible grâce au financement du programme Médiations culturelles MTL, dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel de Montréal conclue entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec.
² Le centre Turbine réalise des projets qui permettent d’introduire les arts actuels au sein de diverses communautés en jumelant des artistes professionnel·le·s de toutes disciplines avec des pédagogues en art.
³ L’école Denise-Pelletier (Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île) est un point de service pour des élèves à mobilité réduite ou ayant des difficultés motrices importantes.
Grâce à un partenariat avec l’Association québécoise des enseignantes et enseignants spécialisés en arts plastiques (AQESAP), Vie des arts fait paraître dans chacun de ses numéros une chronique soulevant un enjeu, soutenant une réflexion ou soulignant une initiative dont les retombées embrassent le domaine de l’éducation artistique. La mission de l’AQESAP est de promouvoir et de défendre la qualité de l’enseignement des arts, de stimuler la recherche et de favoriser le partage d’expériences pédagogiques.

