Dans un monde fragilisé, quelles choses autour de nous restent intactes ? Continuons-nous à donner la même valeur à ce que nous faisons, à ce que nous essayons d’être ? Faisons-nous preuve de la même patience, et prenons-nous le même temps – à voir, à entendre, à comprendre ? Bien au creux, à la chaleur, il y avait dans le dernier numéro de Vie des arts une promesse : celle de faire se tenir derrière chaque incantation un voeu de présence, un vœu d’à-venir. Celle d’accepter nos postures qui font de nous des êtres de résonance, des êtres d’écoute. Mais comment ?
Arborant fièrement sa dégaine de rockeur, l’un des membres de L’orchestre d’hommes-orchestres, en couverture de ce nouveau numéro, susurre – ou plutôt crie, à gorge déployée – qu’il vaut mieux embrasser une présence totale, sans compromis, que de se résigner à la passivité. Muni d’un microphone collé à lui, il assume toute prestance et confirme l’aspect volontaire de son entreprise : nous irons jusqu’à devenir instruments pour nous faire échos du monde et pour permettre la réverbération de tous ses bruits ambiants. Nous nous ferons ainsi porte-voix, voilà la seule option.
Ces jours-ci, crécelles et slogans soufflent dans les rues un air d’une tempête bien différente de celle qui nous est tombée dessus en février. Le milieu des arts se fait vocal sur la crise qu’il traverse – non, encaisse –, et ce dans une énième tentative de survie. Bien loin de se ranger du côté des phénomènes passagers, la précarité du secteur semble érigée sur des années d’incapacité de nos dirigeant·e·s à estimer et projeter la prégnance de la culture sur le temps long dans nos sociétés. Les choses infiltrantes s’infiltrent peut-être trop bien dans nos habitudes : on oublie leur importance. Pourtant, la grâce est partout. A-t-on toujours besoin de la matérialiser pour qu’elle se manifeste à nos sens ?
J’imagine souvent ce qui a envahi Flore Laurentienne, de son nom Mathieu David Gagnon, alors qu’il se tenait dans les réserves du Musée des beaux-arts de Montréal à l’automne 2023, équipé de ses claviers et côtoyant les oeuvres phares de Jean Paul Riopelle pour inspirer l’écriture de son troisième opus intitulé 8 tableaux (2024). Il se préparait à offrir une sorte de prolongement musical intemporel à des peintures automatistes aux matières figées mais aux rayonnements infinis. Une entreprise de convergence entre deux médiums bien différents qui nécessitent tous deux la contemplation et l’écoute, conviant l’immatériel.
Son processus m’habite. Il faut parfois simplement se tenir là. Je me demande ce que goûte l’immensité ; je devine combien grand et bon le sentiment.
Ainsi les bougies de nos vœux de présence et d’à-venir peuvent-elles être de nouveau soufflées ? Comment revenir au plus près de nos postures qui nous permettent d’inscrire le grandiose dans nos aléas journaliers ?
L’immersion, peut-être. Notre capacité à entretenir cet état de rêverie, de connexion avec le beau qui nous environne. D’une thématique à l’autre, c’est dans l’intensité d’une question précise que nous trouvons notre moteur : comment sublimer nos expériences ? Comme si elle s’était glissée à l’oreille, cette nécessité revient nous effleurer, signalant la crucialité de trouver un chemin pour une vie plus douce et clémente. Une vie où nos quotidiens sont magnifiés par la poésie qui leur est intrinsèque, nous faut-il seulement la voir. L’art y peut quelque chose.
Hier, la banquise craquait et l’eau – qui, par les marées, venait gruger les glaces – se prononçait dans le calme silencieux qui règne en contexte rural. J’étais au bord du fleuve. J’entendais.
Le son peuple tous les recoins de l’univers. Il y a dans le néant une surcharge qui, lorsqu’on en prend le pouls, nous dit au bas mot l’infinité des tonalités, harmonies et dissonances ponctuant hasardeusement nos routes. S’il y a lieu de se demander où le monde s’en va ces derniers temps, peut-être faut-il nous accrocher aux plus petites – mais plus grandes – certitudes qui nous permettent de pense que la vie poursuivra son long cours, et que le pépiement des oiseaux par jours de printemps continuera de nous émouvoir.
Galadriel Avon Codirectrice générale et éditoriale
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