L’évènement se produit en juin, tout juste après mon anniversaire — célébration de naissance qui implique généralement de regarder vers le passé, de se recentrer sur le présent et de faire un souhait pour l’à-venir. Au moment d’imaginer à plusieurs les textes qui composeront ce numéro, je constate chez Atelier 10 la fraîche parution d’une petite plaquette de Véronique Chagnon intitulée Au revers du monde, où est mené un pèlerinage discursif « à propos du potentiel révolutionnaire de la spiritualité ». Cette nouveauté en librairie comme un signe, alors que nous façonnons un dossier portant sur les incantations.

Dans son ouvrage, Véronique parle de ses expériences de travail dans les médias… et de leur effrènement, qui l’a éventuellement conduite à un besoin vital de « communier avec l’invisible » pour retrouver le sens. Enfin, se dégager de la vitesse pour se plonger dans des rituels au quotidien. Enfin, cultiver de petits sortilèges pour retrouver l’enchantement naturel des choses. Pour se permettre une nouvelle envolée. Pour épouser l’urgence de plus en plus palpable de faire vœu de présence.


Dévorant la petite plaquette, je me demande : pourquoi, chez Vie des arts comme partout ailleurs, cette vive allure nous est-elle si familière ? Comment retrouver la subsistance, l’horizon et un rythme lent, mesuré ? Une attention à ce qui existe, en nous et en dehors de nous ? C’est au fond l’invitation que Véronique nous fait dans son livre, qui s’apparente drôlement à celle que l’on souhaite lancer avec ce numéro. Pourquoi nous épuisons-nous toujours, et comment pouvons-nous répondre à ce désir grandissant de plus de beauté et de richesse — intérieures ?


Dans l’élan d’une néospiritualité qui prend du galon, cette recherche généralisée de petites magies qui part souvent de l’individu témoigne pourtant d’un courant sociétal plus large qui révèle des choses sur notre époque actuelle. Croire, en quelque chose ou en quelqu’un — ou en nous, peut-être ? —, semble nous permettre de sacraliser nos incidences les plus communes. L’acte, en soi, réunit ou dévoile le sens manquant, souvent là mais resté caché sous le vernis des choses. Qu’est-ce qui fait que ce qui relève du futile se hisse parfois au rang du fugace ? Dans cette posture de présence à ce qui est, dans cette attention vive pour ce qui nous entoure, réside sûrement la clé de voûte pour faire face à ce qui nous attend, individuellement comme collectivement, et pour retrouver ce fameux sens, ensemble.


Nous sommes à l’intérieur d’un temps de crises multiples. Nous pourrions les nommer toutes : contentons-nous de parler, à notre échelle, de celle qui secoue actuellement le milieu des arts en raison de son sous-financement, ou bien, autrement, de la turbulence qui a agité dernièrement Vie des arts, dont les intimes collaborateur·rice·s ont été les principaux·ales témoins et ont su nous accorder, chaleureusement, leur grand support. Ces crises, si le sens en venait à nous échapper, auraient peut-être raison de ce que nous faisons. Hélas, comme un souhait d’anniversaire tourné vers le futur, nous y sommes : à lire une édition un peu magique dont les conditions de réalisation ont été, elles aussi, un peu magiques. Peut-être existe-t-il en cela le sens qu’il nous faut pour entrevoir le beau que l’on insuffle dans ces numéros qui s’enchaînent mais ne se ressemblent pas.