Ahkwayaonhkeh : « Un legs à notre communauté »
Fondé en 2023, Ahkwayaonhkeh est un centre d’artistes autogéré wendat créé afin de répondre à un besoin de longue date d’un espace de soutien et de valorisation de la communauté artistique de Wendake. J’ai eu l’occasion de m’entretenir en février dernier avec le président de son conseil d’administration, l’artiste Teharihulen Michel Savard, qui atteste d’une longue période de latence : «Ça fait presque vingt ans qu’on parle, avec des amis artistes ici à Wendake, d’avoir un lieu de partage et de diffusion de notre art. Ça revenait sur la table tous les trois-quatre ans, sans jamais aboutir […] Tu sais, à Wendake, on est une petite communauté artistique. On se connaît tous, mais avant que le centre ne soit créé, il n’y avait rien qui liait tout le monde.»
Ce sont des échanges entre l’artiste Manon Sioui (aujourd’hui vice-présidente du CA), l’équipe du centre d’artistes VU, situé à Québec, et Teharihulen Michel Savard qui ont finalement permis la concrétisation d’Ahkwayaonhkeh. Pour sa première année d’activité, ce dernier a d’ailleurs investi les locaux de VU, établis sur le Nionwentsïo, territoire wendat non cédé. Axée sur l’autogestion et l’autodétermination des artistes wendat elleux-mêmes, et orienté vers les besoins de la communauté de Wendake, cette structure a permis le déploiement d’activités de collaboration, de soutien et de transfert des connaissances entre des artistes et des travailleur·euse·s culturel·le·s d’origines diverses. Le centre vise depuis à transformer durablement l’écosystème culturel, à Wendake et à Québec, comme en témoigne Savard dans l’extrait d’entrevue qui suit.
Julie Graff (JG) — L’idée d’un centre artistique wendat circulait depuis longtemps. Ce sont au fond les collaborations avec VU qui ont permis de le mettre en place?
Teharihulen Michel Savard (TMS) — Ce qui était intéressant, c’est qu’eux travaillaient souvent avec du monde de partout, mais qu’ils n’avaient jamais vraiment collaboré avec la nation wendat, qui se situe pourtant à quinze kilomètres de Québec. On a d’abord développé des projets individuels, puis [des projets] avec un collectif créé ici à Wendake. Il y a eu Yahndawa’1, qui [s’est] étiré sur deux ans à cause de la pandémie. Au final, cela a été une bonne affaire, puisque cela nous a permis d’apprendre à nous connaître et de créer des liens.
On espère que [ce centre] va durer encore très longtemps. Je pense aux artistes qui ont commencé à travailler il y a plusieurs années : ils travaillaient un peu partout, de leur côté en fait, avec d’autres centres d’artistes, ailleurs… [On veut] créer quelque chose qui nous parle à tous, qui puisse nous permettre d’évoluer au sein de la communauté [et] ramener aux jeunes quelque chose de concret. Comme on se le disait avec Manon [Sioui], on aurait aimé avoir quelque chose [qui aurait été] déjà en place, qui aurait pu nous aider. On veut donner ça aux jeunes et laisser un legs sur le plan des arts pour notre communauté.
[Avec Ahkwayaonhkeh], nous essayons de viser un peu tous les arts : le théâtre, la performance, la sculpture, la peinture, la vidéo… Nous ne visons pas une spécialisation particulière. Tout artiste autochtone qui a une pratique en art est bienvenu. Si tu soustrais tous ceux qui ne font pas de l’art, ou qui sont moins intéressés, on est une petite communauté artistique [à Wendake]. Avant la création du centre, il n’y avait rien qui liait tous ces gens. Donc là, il y a sûrement plein de jeunes qui vont émerger, et il va y avoir un espace. Et nous pourrons aider les jeunes artistes à trouver du financement, à grandir, sans oublier le côté traditionnel, mais aussi à explorer des domaines autres que ceux qu’ils maîtrisent déjà…
JG — Est-ce qu’il s’agit ici de brouiller les frontières entre les pratiques artistiques?
TMS — Oui, c’est ça. Tu sais, je connais quelqu’un d’excellent dans les arts traditionnels qui découvre en ce moment comment aller plus loin. C’est la même expression artistique, mais apportée différemment. J’ai confiance dans les jeunes qui grandissent [en ce moment] dans les arts, ils vont prendre leur place, puis ils vont prendre notre place à un moment donné, et on en sera bien contents.
JG — Le besoin d’un espace permettant d’échanger et de se découvrir les un·e·s les autres se faisait donc sentir, même dans une petite communauté comme Wendake.
TMS — Oh oui! Présentement, on a un espace à Québec, mais éventuellement nos espaces vont peut-être revenir à Wendake, ou on aura un espace à Wendake et un autre à Québec. C’est ce qu’on se dit souvent, avec Manon et les autres, [il faut] avoir un lieu pour inviter les aîné·e·s, inviter les jeunes, pour partager. Avoir des espaces communs où les gens pourront travailler et jaser ensemble, c’est primordial.
JG — Qu’espérez-vous en matière de collaboration, voire d’alliances, avec des artistes ou des organismes allochtones, ou encore d’autres nations autochtones?
TMS — Quand on a commencé à travailler avec VU, il y avait une forme de précaution. On voulait faire attention [au choix des personnes] avec qui on collaborait. On doit se protéger, parce qu’il y a toutes sortes de gens qui sont venus ici pour nous étudier, et qui nous étudient encore. Avec les membres de VU, il y a eu une très bonne compréhension mutuelle dès le départ. Puis l’alliance s’est créée comme ça, en entretenant de bons rapports. Si ça avait été juste dans un sens, ça n’aurait pas marché. On veut travailler avec tout le monde, il faut aller voir ce qui se fait ailleurs, on a plein d’amis qui sont chez les Atikamekw, les Mohawk, les Innu. On créait déjà des événements, des collectifs avant que le centre existe, et on veut continuer à travailler en collaboration […] On veut que ces collaborations perdurent. Mais il ne faut pas perdre le contrôle du centre, donc les membres votants sont Wendat. On essaie de garder une direction, de faire en sorte que la communauté à Wendake conserve le contrôle sur son centre d’artistes.
JG — Votre présence à VU vous permet aussi de vous adresser au public allochtone de Québec. Avez-vous des attentes particulières?
TMS — On vise d’abord les gens de la communauté parce qu’ici, à Wendake, on assiste vraiment à un renouveau culturel, à une réappropriation de la culture à tous les niveaux. En même temps, être à VU, c’est montrer Wendake aux gens de Québec qui ne connaissent pas vraiment cette communauté. Avant, les habitants de Québec venaient à Wendake acheter des raquettes et des mocassins puis ils repartaient, et c’était ça. Mais là, les visiteurs qui fréquentent les centres d’artistes découvrent les artistes de Wendake. Si on peut les faire ensuite revenir chez nous, ça va créer des liens qui, on l’espère, vont durer dans le temps.
Lors de sa première année, Ahkwayaonhkeh a proposé quatre expositions qui exploraient le motif du mocassin et rendaient ainsi honneur au nom du centre, qui signifie «aux vieux mocassins»2. Liant ce motif aux thèmes du cheminement, du déploiement sur le Nionwentsïo, mais aussi aux savoir-faire et à leur transmission, ces expositions ont permis de présenter des artistes de plusieurs nations autochtones, émergent·e·s et établi·e·s, œuvrant dans différentes disciplines. Nous avons ainsi pu découvrir le travail de Christine Sioui Wawanoloath (Wendat et Abénakise), d’Aïcha Bastien-N’Diaye (Wendat), de Craig Commanda (Anishinaabe) et de Marie-Andrée Gill (Ilnu), puis de Louis-Karl Picard-Sioui (Wendat) et de Teharihulen Michel Savard (Wendat), qui présentaient dans le lieu une installation créée conjointement dans le cadre de la Manif d’art 11. La programmation s’est close au printemps avec une exposition d’Anne Ardouin (Wendat) et d’Eruoma Awashish (Atikamekw). L’équipe du centre a aussi commencé à constituer un centre de documentation sur les arts wendat, et a proposé, en collaboration avec VU, une première série d’activités afin de continuer à se définir et à préciser sa mission avec, entre autres, une formation sur l’appropriation culturelle et un atelier sur l’établissement d’alliances dans le milieu culturel. Une publication est d’ailleurs prévue à l’automne 2024 pour synthétiser et diffuser l’ensemble de ces réflexions.
Dernièrement, Ahkwayaonhkeh a renouvelé son partenariat avec VU pour l’année 2024-2025 afin de présenter de nouvelles expositions et manifestations artistiques, tout en continuant à développer ses activités de rencontres, de formation et de documentation autour des arts wendat et autochtones. Le lieu souhaite plus particulièrement étoffer les services qu’il offre à la communauté, et spécifiquement aux jeunes générations, avec une programmation tournée vers la formation professionnelle des artistes et de toute personne wendat intéressée par les arts. Par sa mission et ses activités, Ahkwayaonhkeh vient ainsi enrichir un réseau institutionnel de soutien et de rayonnement de la création autochtone actuelle, tout en constituant un espace autodéterminé et autogéré centré sur le renforcement de la vitalité artistique de Wendake3. De ce fait, sa présence promet, ultimement, d’élargir les horizons de notre paysage artistique.
1 Yahndawa’ : portages entre Wendake et Québec est un projet d’échange et de résidences de cocréation
impliquant sept artistes de Wendake, sept artistes de Québec et sept organismes partenaires.
2 Tous mes remerciements vont à Julia Caron Guillemette, coordonnatrice de projets, qui a aimablement pris
le temps de me décrire les différentes activités prévues par Ahkwayaonhkeh.
3 Pour suivre leur programmation, visitez leur site Internet : https://ahkwayaonhkeh.org/.