Jean-Pierre Lafrance
Le dégoupilleur

Maître d’envergure internationale, reconnu notamment pour ses éclats de couleurs texturées, le peintre et sculpteur Jean-Pierre Lafrance commente les sources d’inspiration et l’esprit de ses œuvres récentes présentées à la Galerie Jean-Claude Bergeron, à Ottawa.
La thématique de mon expo ? Il n’y en a pas. Ni de titre, d’ailleurs. Lorsque j’amorce une toile je veux m’étonner moi-même en me disant : “ Vise juste, sinon tu manqueras ton coup ! ” Mais ce qu’il y a de différent, c’est que la trentaine d’œuvres présentées est essentiellement composée de créations sur papier », confie Jean-Pierre Lafrance, qui peint comme d’autres brandissent les coups d’éclat. Homme franc et direct, c’est sans doute aussi le côté percutant de sa personnalité qui donne autant de relief à son œuvre.
« J’aime entendre la toile quand je donne des coups de pinceau. Je l’arrose pour qu’elle reste dure comme un tambour », lance l’artiste en parlant de sa méthode de travail.
Peut-être y a-t-il là un lien à faire avec son attachement pour les Amérindiens, qu’il a jadis fréquentés dans certaines réserves lorsqu’il a quitté son travail bien rémunéré de dessinateur de mode pour se lancer dans l’incertitude de la vie d’artiste indépendant. « J’ai quitté Montréal avec mes quatre enfants pour m’installer près de Senneterre, en Abitibi, où le coût de la vie était moins élevé. En plus, j’étais amateur de chasse. Là-bas, je me suis surtout adonné à la sérigraphie et j’ai pu exposer dans divers endroits et obtenir des bourses », se souvient Lafrance qui emploie souvent, depuis, le procédé de la surexposition dans ses œuvres.
C’est en Abitibi donc, où le paysage est plat et étiré, que cet anarchiste a troqué sa conception verticale du monde contre une vision horizontale qu’il a transposée dans ses tableaux. Ce qui l’a conduit à l’abstraction. « Ce n’est pas moi qui ai sciemment décidé cela. Vers 1988, je me suis mis à trouver que les personnages, ça devenait banal. Je venais de peindre un tableau que j’aimais et que je ne souhaitais pas vendre. En fait, ce n’était pas tant le sujet du tableau qui me plaisait qu’un coin en haut de la toile. Cette partie-là m’a tellement inspiré qu’aujourd’hui encore je peins dans ce style », souligne l’artiste. Anecdote : le tableau en question pourrait probablement se trouver aujourd’hui entre les murs du sous-sol de son ancienne maison, en compagnie de quelques autres œuvres qu’il avait alors dissimulées !
À son retour d’Abitibi, au début des années 1990, Lafrance s’est mis à côtoyer de nouveau son ami Jordi Bonet, propriétaire alors du célèbre Manoir Rouville-Campbell à Mont-Saint-Hilaire. « Mes œuvres sont très chargées, mais il y a un espace en même temps. Ça vient peut-être de l’influence de Jordi et de sa grande spiritualité ; ça vient sans doute aussi du fait que j’ai fréquenté les réserves amérindiennes », analyse l’artiste qui dit, malgré toute la reconnaissance dont il bénéficie, chercher encore son filon.
Lorsqu’on lui demande quel a été le moment le plus fort de sa carrière, le septuagénaire répond sans hésiter : « Il fut un temps où j’étais plus fou qu’aujourd’hui. Par exemple, au milieu des années 1990, j’ai peint un tableau de 38 pieds de haut sur 32 de large. Il est au Connecticut. Je n’aurais plus le guts de faire cela maintenant. C’était pour ma série Les Bêtes qui a duré cinq ou six ans. Je fuyais une rupture amoureuse. J’étais à quatre pattes dans la peinture. Il y avait de la colère en moi, mais aussi de la place pour absorber des choses. En fait, la bête, c’était moi. »
Jean-Pierre Lafrance
Galerie Jean-Claude Bergeron, Ottawa
Du 22 septembre au 8 octobre 2016