1912. Date repère de l’histoire de l’art moderne. Parmi les innovations formelles qui ont rythmé la succession des avant-gardes depuis la fin du XIXe siècle, l’irruption du collage comme procédé légitime de mise en forme de l’image marque une césure radicale, dont les répercussions se font sentir jusque dans l’art contemporain.

L’acte historique fondateur de cette rupture avec la règle classique de l’homogénéité des matériaux survient au sein des recherches cubistes de Braque et de Picasso. Les deux artistes collaborent étroitement depuis 1908 pour rompre avec la perspective et l’illusionnisme hérités de la Renaissance. Durant cette année décisive, leurs échanges sont continuels. Ce qu’ils doivent l’un à l’autre est souvent difficile à départager. Peu importe. L’approche de l’image qui en découla est à l’origine d’un renouveau stylistique sans précédent. Elle consiste à introduire dans l’œuvre des papiers manufacturés, jusqu’alors considérés comme étrangers à l’art : un papier peint au motif faux bois pour l’un et un morceau de toile cirée imitant le motif du cannage d’une chaise pour l’autre. Ces matériaux insolites sont simplement collés à plat directement dans la composition. Assurément très expérimentales pour l’époque, ces recherches pulvérisent l’objet de la peinture et anéantissent la traditionnelle profondeur de champ de l’espace. Les frontières de l’art deviennent extensibles. On devra reconsidérer la définition des beaux-arts.

Désormais, objets et matériaux des plus inusités peuvent être combinés, assemblés, juxtaposés, déconstruits et reconstruits. Dès la fin de l’année, Picasso enchaîne avec les premiers assemblages, des guitares faites de cartons découpés et de ficelles. Conçus comme des bas-reliefs, ces constructions fragiles, réalisées avec des matériaux humbles, seront bientôt suivies par d’autres en tôle et en bois, qui annoncent déjà des pratiques qui nous sont proches. Il s’agit d’une percée majeure, dont nous soulignons cette année le centenaire.

Signifier autrement

À partir du cubisme parisien, collages et assemblages envahissent rapidement les grandes capitales européennes. L’avant-garde russe et le futurisme italien s’en emparent. Dans les milieux dadaïstes de Berlin, on produit une nouvelle variante du genre, le photomontage. Le contenu plus agressif et plus virulent des œuvres dénonce, tel un pamphlet politique, la situation catastrophique de l’Allemagne après la défaite. Durant les années 1920, les noms de John Heartfield, Raoul Hausmann et Hannah Hoch sont emblématiques. Photos et textes découpés, ticket de métro, billets de banque dévalorisés, mots décomposés sont juxtaposés sur une même surface dans un ordre qui défie la logique. Tout est mis en œuvre pour heurter le spectateur bourgeois, le profiteur de guerre, le gouvernement incompétent. Au même moment à Cologne, un autre versant du dadaïsme ouvre une nouvelle voie pour le collage : celle de la narration onirique, plus surréaliste et magistralement représentée par Max Ernst, dont les grandes suites narratives (La femme 100 têtes, 1929) sont d’une singulière originalité.

Les principes du collage

Entre les deux guerres, Hanovre devient également un centre névralgique pour la pratique du collage, grâce à la personnalité dominante de Kurt Schwitters. Sa grande polyvalence en fait le prototype de l’artiste moderne. Avec des matériaux de récupération trouvés au hasard dans l’espace urbain, il produit non seulement des collages remarquables, mais aussi des bas- reliefs en bois. Dès 1923, à l’intérieur de sa propre demeure, il construit progressivement une « installation » en trois dimensions surnommée Merzbau. Cette gigantesque accumulation d’objets hétéroclites, collés et peints, provenant de rebuts, constitue la première tentative pour transposer, dans un format monumental, les principes du collage.

À l’ère des nouvelles technologies, la fécondité des approches novatrices, qui reposent sur la possibilité de transformer toute chose en œuvre d’art, inspire encore aujourd’hui bon nombre de créateurs montréalais.