« Je commence à dessiner. Je n’ai pas d’idée préconçue. J’avance. Je vais au bout de la ligne. Je trace des traits. Je trace des treillis d’où émergent des formes, des personnages… » En quelques mots, François Morelli explique sobrement comment il travaille et ce qui en résulte. L’exposition intitulée François Morelli montre quelques aspects de ce travail échelonné sur une quarantaine d’années.

François Morelli, tel est le titre de l’exposition (automne-hiver) à l’affiche du 1700 LaPoste. Ce titre réduit aux nom et prénom de l’artiste n’a rien de prétentieux ni de narcissique ; il tire sa justification du fait que chez Morelli, l’homme et l’œuvre coïncident. Les deux coïncident, mais ne se confondent pas en ceci que les formes et les figures qui naissent sous la main de l’artiste sont les fruits d’une pensée et donc d’une distanciation qui traduit les aléas de son existence (lieux, événements fortuits ou provoqués, déplacements…) dont il est à la fois le témoin et le protagoniste principal.

Rétrospective ? Ç’aurait été trop banal de limiter l’exposition François Morelli à un bilan ou bien à un retour sur des activités polyvalentes, certes significatives, mais tributaires de circonstances toujours un peu anecdotiques. L’exposition est heureusement plus ambitieuse et plus originale : elle comporte un lot de pièces jamais montrées : des fusains, des aquarelles et des carnets. L’exposition François Morelli se présente comme une immense et tentaculaire création qui s’épanouit sans chronologie, hors d’un thème, hors de lieux bien circonscrits. Installation multidisciplinaire, elle se déploie sur les trois étages (rez-de-chaussée, mezzanine et sous-sol) du Centre 1700 LaPoste. Elle s’accompagne d’un film de 48 minutes de Suzanne Guy et d’un sompteux catalogue comprenant deux importants essais signés Bernard Lamarche et Jake Moore.

Nomade

Ainsi François Morelli dessine. Chaque jour laisse donc une trace. Il dessine dans des cahiers ou sur des feuilles. Il note la date. Il note l’endroit. Il range dans son atelier cahiers et feuilles dans des tiroirs et des classeurs. Il n’est pas pour autant sédentaire. Au contraire, François Morelli tire son inspiration de ses déplacements, des lieux où il passe et qu’il occupe parfois, ainsi que des personnes qu’il croise ou rencontre. Il se qualifierait volontiers de nomade. Il a, par exemple, effectué ses études à l’étranger. Un bon nombre de ses créations sont nées dans des pays variés au contact de gens dont il découvre les mœurs et dont il ne parle pas la langue. Des experts dénotent dans certaines de ses œuvres un fonds anthropologique : peut-être, peut-être.

Quiconque n’aurait pas une connaissance préalable des productions de François Morelli risquerait fort d’être dérouté devant la profusion de leurs entrelacs complexes, de leurs figures énigmatiques, de leurs constructions labyrinthiques où se dressent souvent de véritables monstres. Plutôt que de s’en détourner, il faut apprivoiser les images de François Morelli et consacrer un peu de temps à se familiariser avec elles pour les apprécier et les aimer.

L’exposition François Morelli comprend une quarantaine d’œuvres de l’artiste, réparties dans la totalité du Centre 1700 LaPoste. Elle pourrait être perçue dans sa globalité comme une gigantesque installation tant les pièces présentées se répondent les unes les autres. Oui, elle pourrait être appréhendée comme une œuvre unique, constituée certes d’éléments parfois contrastés, mais relevant d’un même principe directeur. C’est pourquoi le visiteur gagnerait sans doute à faire un premier tour complet assez rapide puis de reprendre sa tournée plus lentement, plus méthodiquement.

Les aventures de la ligne

De quoi est-il principalement question dans l’exposition François Morelli ? Il est question d’une aventure. Dessinateur, François Morelli, l’artiste (graphiste, graveur, sculpteur, performeur…) ne cesse de raconter ce que représente pour lui l’essence du dessin : la ligne. Son exposition pourrait s’appeler Les aventures de la ligne. François Morelli en trace ou en suit (selon les points de vue) les méandres, les caprices, les volutes, les arabesques, les circonvolutions, les bavardages, les luminosités, les sauts et les soubressauts, les linéarités et les non-linéarités. Si cette ligne se tortille, se brise, s’interrompt, s’éparpille en mille points (le point est sa source originelle), elle se multiplie aussi et se métamorphose en échelles, pelotes, résilles, réseaux, grillages, enchevêtrements. Elle se surmultiplie, enfin, quittant la feuille de papier pour devenir sculptures ou installations ajourées et aériennes.

Aventure donc que ces signes et signaux engendrés par la ligne et ses fantasques accoutrements ! Aventure que celle de ces formes et de ces personnages (humains, animaux, végétaux) en deux ou trois dimensions, voire en quatre dimensions quand les volumes se déplacent avec l’artiste et prennent alors la configuration d’hypervolumes. C’est que François Morelli est un marcheur. Il tire de ses pérégrinations solitaires d’une ville à l’autre ou encore dans les rues des villes qu’il arpente, le sujet sinon la raison même de ses performances, que prolongent toujours ses dessins qu’il décrit volontiers comme « une écriture sans les mots ».

Ses cahiers, ses frises et ses fresques (comment qualifier autrement les immenses montages, véritables murales, à l’encre et au tampon encreur sur papier qui ouvrent l’exposition ?) parlent du dialogue de l’itinérant avec lui-même, relatent les péripéties de ses rencontres avec l’autre (qu’il soit un proche ou un étranger) dont ils abolissent l’éloignement. Création d’un marcheur solitaire, l’œuvre de François Morelli serait, certes, assimilable à un voyage. L’artiste, en fait, ouvre son chemin en cheminant ; il élabore son langage d’errance en errance et trouve sans cesse une voie (définie comme une issue) pour faire entendre (muette) sa voix. La frise et les encres étalées à la mezzanine l’attestent avec éloquence. Il attend que celles et ceux qui l’entendent y fassent écho, sinon il n’exposerait pas tant ses productions depuis plus de quarante ans. Il ne se formalise pas néanmoins de n’être pas entendu. Il lui importe peu de ne pas faire partie des artistes tapageurs même s’il compte à son palmarès plus d’une cinquantaine d’expositions individuelles et, parmi les deux cents expositions collectives où il a été invité, des participations à des manifestations internationales (biennales, triennales) parmi les plus prestigieuses.

François Morelli privilégie la main. Il dessine à la main, mais manipule aussi des objets. Un espace montre quel parti il tire des ceintures qui lui ont inspiré des linogravures et un masque qui joue explicitement le rôle de son double. Il lui donne la parole et place dans sa bouche un crayon avec lequel il dessine, bien sûr, une ligne, une figure, bref, grâce auquel il continue à tenir un discours de ventriloque, mais toujours sans les mots. 

François Morelli 
1700 La Poste, Montréal
Du 5 octobre 2017 au 17 janvier 2018