Si l’exposition consacrée à Wangechi Mutu s’articule autour de la présentation de Moth Girls, une imposante installation récemment acquise par le Musée d’art contemporain de Montréal, les autres œuvres sélectionnées pour nous faire découvrir l’artiste kényane, née en 1972 à Nairobi, éclairent avec beaucoup de force aussi son propos.

Prenant pour thèmes la représentation féminine, l’identité et la diaspora africaine, Mutu aborde aussi bien la sculpture, l’installation et le collage que la vidéo, et ce, de façon plutôt spectaculaire. L’immense rideau de filaments dorés qui inaugure le circuit consacré à son travail s’ouvre sur deux projections : d’un côté, une paire d’yeux dont les mouvements non synchronisés créent un malaise, puis juste en face, des images de femmes qui dansent ou bougent lentement. Partiellement dissimulées sous le rideau doré, les images projetées suggèrent la tristesse et l’éloignement, qu’on associe spontanément à l’expérience de l’artiste elle-même.

Le leitmotiv des yeux immenses et interrogateurs anime plusieurs images de Mutu, entre autres Me, Myself and Why (2003), un collage dont la figure centrale est entourée de signes porteurs d’une dimension tragique, voire sacrificielle : la surface est maculée d’éclaboussures rouges qui jaillissent d’une tête de taureau. Dans plusieurs collages, les créatures portent une coiffe composée d’éléments mécaniques (roues de motos) qui contrastent avec la végétation fantastique qui envahit l’image. L’esprit de Hannah Höch n’est pas loin quand Mutu, armée de ciseaux, s’empare d’images extraites des revues Motorbike ou National Geographic. Les deux figures fantasmagoriques du diptyque People in Glass Towers Should Not Imagine Us (2003) conjuguent avec une grande plasticité la douleur, la résignation et l’impertinence, alors qu’on découvre le détail lancinant du talon de la chaussure composé d’une statuette africaine.

Un même goût du tragique est au cœur de l’installation composée d’assiettes maculées de rouge au-dessus desquelles pendent une série de bouteilles retournées. À travers ses mutantes qui vont de la guerrière à la femme serpent, Mutu se confronte de façon audacieuse aux stéréotypes qui accompagnent l’objectivation du corps féminin. Avec ses 246 figurines faites de céramique, de cuir et de plumes accrochées directement sur le mur à la façon des insectes épinglés pour l’observation, Moth Girls élargit la réflexion en réintroduisant, comme le rappelle la commissaire Josée Bélisle dans le texte du catalogue accompagnant l’exposition: « avec force la notion de taxinomie et, qui plus est, celle, volatile, de classification et de hiérarchisation des espèces et, par extension, des peuples et des races 1. »

Gravées directement dans le mur, quatre crevasses peintes en rouge qui figurent les quatre lacs du Kenya évoquent les maux de la colonisation. Vers la fin du parcours, l’installation Black Throne IV V VI IX VII X VIII (2012) composée de hautes chaises-personnages affublées de curieux signes ou organes en plastique semble faire écho à de très sombres réflexions. À qui sont destinés ces signes de grandeur toute bricolée ? À quel arbitrage fait-elle allusion ? Devant quels chefs de tribu faut-il défiler dans le monde de Wangechi Mutu ? Au départ de sa situation de femme de couleur confrontée à une représentation médiatique stéréotypée, Mutu ose se confronter à une longue tradition et élabore de nouvelles images d’une grande puissance qui contraignent notre regard à reviser nos références habituelles face à l’altérité.


WANGECHI MUTU
Musée d’art contemporain de Montréal
185, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal
Tél. : 514 847-6226
www.macm.qc.ca
Commissaire : Josée Belisle
Du 2 février au 22 avril 2012

(1) Josée Bélisle, Anatomie d’une horreur exquise : une introduction à l’art complexe, éblouissant, monstrueux et …émouvant de Wangechi Mutu, catalogue Wangechi Mutu, Musée d’art contemporain de Montréal, p.15.