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Sayeh Sarfaraz « Maman, regarde. Les legos tuent ! »

#installation
Par Nicole Allard
3 juillet 2013 - Lecture de 3 mins

Expositions à surveiller : L’artiste, dont on a aussi pu voir l’Étrange dictature au MAI (Montréal Arts Interculturels) début 2013, présentera cinq expositions solo en 2014 à Montréal (Circa), Laval (Maison des arts), Sherbrooke (Galerie Foreman) et Toronto (Le Labo).

Représentée par la Galerie Antoine Ertaskiran, elle y exposera Propagande contre le régime en 2014.

Contre l’oppression, les fusils et les tanks, Sayeh Sarfaraz lance de minuscules armées du peuple faites de… legos. Dérisoire, direz-vous ! Mais l’art et la dérision peuvent s’avérer des armes de combat redoutables… L’histoire en est témoin !

Séduire pour montrer…

Intégrant dessins, jouets de plastique, modelages et jeux d’enfants, les installations de Sayeh Sarfaraz sont généralement peuplées de lutins barbus, de guirlandes colorées et, surtout, de centaines de petits personnages legos qu’elle positionne tantôt dans des tiroirs, tantôt descendant du mur ou formant au sol des cortèges humains.

Ces mises en scène paraissent avoir été inspirées par quelque espièglerie inoffensive. Mais, attention, tel déploiement de joyeuse naïveté n’est qu’un leurre…

Le soir du vernissage de l’exposition Fox & Friends, qu’elle présentait au printemps 2013 au Centre d’artistes Vaste et Vague de Carleton-sur-Mer, une fillette, intriguée comme nous l’étions tous par tant d’effets attrayants, s’est tout à coup exclamée : « Maman, regarde. Les legos tuent ! »

C’est que l’artiste utilise le langage universel de l’enfance pour mieux attirer le regard et faciliter le dialogue avec le public, tous les publics. Au-delà des apparences, l’extrême gravité du message politique qu’elle tient à porter au plus loin et qu’elle réserve, cette fois, aux plus grands, ne laisse pas indifférent, même ici à des milliers de kilomètres de l’Iran.

La fin de l’innocence

Jouets et autres objets détournés servent à reconstituer les événements qui ont marqué l’histoire récente de son pays, entre autres la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad en 2009 et la répression du régime des mollahs qui s’ensuivit. « Je faisais la file avec d’autres ressortissants iraniens de Montréal pour voter, se souvient-elle, lorsqu’on nous a annoncé son retour au pouvoir ! »

Dans Fox & Friends, elle cible les leaders fondamentalistes, qu’elle caricature en lutins malicieux, manipulant et dressant soldats et chars contre les protestataires désarmés, se faisant maîtres d’un jeu sinistre. Un grand jeu de serpents et d’échelles déposé au sol, tel un tapis persan, dont il nous faut faire le tour plus d’une fois. Accumulation de détails, texte écrit à même le sol : le tout commande de s’incliner. N’est-ce pas là l’attitude de soumission imposée à son peuple, à tous les peuples privés de liberté ?

L’artiste dénonce ainsi la tromperie, les soulèvements populaires, les emprisonnements arbitraires, la torture et la mort de manifestants — ici, figurine ensanglantée gisant au milieu d’un champ de fleurs — qui ont donné au mouvement vert iranien — et, par extension, à tous les Printemps arabes qui ont enflammé le Moyen-Orient — les couleurs rouge et noire de la tragédie. Dessinée au feutre sur le mur, une guirlande de fusils, de soldats et… de têtes en rappelle les brutalités et les victimes.

Sur un même mode, avec les mêmes matériaux-jouets que Zbigniew Libera montrant l’horreur des camps nazis dans son fameux Lego Concentration Camp (1996), Sayeh Sarfaraz exhibe à son tour les « blessures de mémoire » des populations prises en otage. Leurs histoires s’inscrivent non plus dans un passé lointain, mais dans l’actualité planétaire. Pour le risque qu’ils encourent à faire entendre leurs voix discordantes, elle ne cache pas son admiration pour les artistes chinois Ai Weiwei et les frères Gao et combien d’autres, appréciant d’autant plus la liberté d’expression et d’action dont elle peut jouir ici.

Colère et frustration contre l’injustice se trouvent ainsi canalisées dans une démarche exutoire et avant tout ludique. L’art engagé de Sayeh Sarfaraz, qui tourne en ridicule les dictateurs et puise subtilement ses références dans la riche culture iranienne, est un art de résistance pacifique, qui s’appuie sur la communication et l’éducation du public. L’art comme soutien à la protestation et à l’indignation, comme arme défensive, n’a-t-il pas pour objectif d’éveiller les consciences ? « Il faut aimer pour défendre », explique-t-elle en conclusion. 

SAYEH SARFARAZ FOX & FRIENDS
Centre d’artistes Vaste et Vague, Carleton-sur-Mer
Du 22 mars au 26 avril 2013