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Paul Jolicoeur
La rue des couleurs

#photographie
Par André Seleanu
13 avril 2016 - Lecture de 3 mins

Entre 2010 et 2015, Paul Jolicœur a photographié Guet Ndar, un hameau de pêcheurs à proximité de l’ancienne capitale coloniale Saint-Louis, au nord du Sénégal. Il s’est passionné pour la lumière jaillissante mettant en relief des maisons, des murs et la mer, ainsi que des hommes et des femmes drapés de tissus parfois floraux, souvent géométriques. Il a braqué son objectif sur des détails au chromatisme débordant, agençant des personnages avec d’humbles fonds villageois dans des compositions fraîches et inattendues.

Les jeux de couleurs complémentaires, nuances de jaune et de violet, assaisonnées de vermeil et de rose révèlent l’espace et sa propre lumière. Fondé sur le chromatisme, le langage plastique de Jolicœur intègre la ligne et des croisements de lignes, toujours assez simples et visant l’essentiel. Très picturale, sa photographie dégage une spontanéité, « une gestualité ». Si son langage est autonome et son style personnel, l’un et l’autre se placent au carrefour de beaucoup d’influences : le fauvisme sans doute ; mais on perçoit aussi des filiations avec la peinture chinoise et vénitienne. À l’ample respiration picturale de ses compositions, Paul Jolicœur ajoute un intérêt marqué pour les gens : membres de simples familles de pêcheurs de Guet Ndar, vivant au bord des plages de l’Atlantique.

L’exposition Impressions sénégalaises est assez étoffée pour donner la mesure du photographe ; elle résulte de cinq années de travail intensif. L’artiste québécois visite régulièrement les quelques rues qui constituent l’objet de ses recherches et il fait un suivi auprès des habitants et de leur vie étonnamment saine et simple. Il place l’aspect esthétique à la base de sa démarche. Cependant, un point de vue ethnographique ou anthropologique est implicite dans la photo : Jolicœur pose un regard amical sur les gens du quartier. Cette banlieue reste très traditionnelle, cependant la vie recèle surprises et tragédies : il arrive que disparaissent des marins au cours des expéditions de pêche.

« Je pratique une photo discrète et patiente », déclare Paul Jolicœur. Les titres de certains clichés soulignent l’impression de tranquillité et de mystère : Dame triste sur un matelas, Dame au chapeau noir, Jeune femme en bleu sur mur noir.

L’objectif de l’artiste capte la symphonie des étoffes africaines des vêtements féminins, l’harmonie entre les coiffes et les amples robes. Le photographe explore des effets de clair-obscur et des jeux de plans. On peut en juger, par exemple, dans la composition où il juxtapose un portrait d’homme pris en contre-jour devant une arcade, quelques silhouettes en retrait, ainsi que la plage avec la mer bleu-vert et le ciel en arrière-plan. Dans une autre composition, la figure d’une femme se profile sur un fascinant mur rouge et rose…

« Les murs sont très vivants », remarque Jolicœur. Ils soutiennent de modestes maisons sans étage ; leurs murs aux couleurs dégradées exhibent des craquelures qu’irriguent de fins torrents de couleurs vives. « Les gens accrochent leur linge sur des cordes le long des murs, offrant des contrastes remarquables », précise le photo­graphe. « Les pirogues, aussi, ont de la vie ». Jolicœur présente le détail d’un fragment de pirogue aux grappes de taches bleues et vertes. Contrairement à certains partis pris propres à la photographie actuelle, la résolution du détail ne devient pas un objet d’exploration en soi. « Je ne cherche pas le détail pour le détail, je le subordonne plutôt à l’aspect artistique d’ensemble », explique le photographe.

Moins nombreux, les paysages de cette exposition incluent des groupes de pêcheurs debout sur la plage avec un arrière-plan marin : voilà des images qui recèlent un incontestable intérêt ethnographique. Guet Ndar présente une composition ethnique typique du Sénégal, avec une prépondérance tribale des Peuls, des hommes aux fines et élégantes silhouettes.

Deux panoramas de Guet Ndar présentent un intérêt particulier. Dans ces cas, la terre se retrouve entre l’eau et le ciel, ce qui peut suggérer la structure du paysage chinois modelé par l’eau, la montagne et le ciel. Cependant, la terre africaine se prête à une autre configuration : elle se manifeste par le bleu saturé du ciel, la lumière qui vibre de chaleur, le blanc et l’ocre des murs. Ces paysages reflètent les vedute vénitiennes où la ville se déploie entre le ciel et la lagune. La photo de Paul Jolicœur suggère un univers plastique, une légende bien à lui en train de naître : sa vision du village de Guet Ndar et de ses gens, captivant microcosme de l’Afrique de l’Ouest.

Impressions Sénégalaises. Photographies de Paul Jolicœur, Espace Mushagalusha (Montréal), du 7 au 29 janvier 2016.