Quasi autodidacte, mais doué d’un brio technique qu’il acquiert dès l’enfance ; pétri des apports et des innovations stylistiques de l’École de Paris, mais doté d’un style éminemment personnel ; farouchement indépendant, mais très lié aux bouleversements artistiques et sociaux de son époque, Dallaire dans sa peinture, conjugue les paradoxes. Car elle est festive et humoristique, bien qu’elle soit aussi empreinte d’une gravité saturnienne, sa peinture !

Déjouant les images toutes faites, l’expo­sition Hommage à Dallaire : Que la fête commence marque le centenaire de la naissance de Jean Dallaire, venu au monde le 9 juin 1916 à Hull. Elle jette un éclairage sur son univers afin d’en mieux saisir les multiples facettes.

Déjà célébrée par l’exposition organisée par Michèle Grandbois au Musée national des beaux-arts du Québec en 19991, la figure de Dallaire s’enracine d’abord à Gatineau où l’artiste passe sa jeunesse. Montée par l’historien d’art Michel Cheff qui connaît bien le sujet, Hommage à Dallaire : Que la fête commence met à la fois l’accent sur les œuvres de jeunesse surgies sur les rives de l’Outaouais et sur les œuvres conservées dans les collections de la région. Riche également de toutes les périodes, cette présentation retrace, l’un après l’autre et dans des espaces distincts, les lieux de séjour de Dallaire : Paris, Québec, Montréal, Vence. Véritable anthologie, la présentation offre une lecture très juste de son art au public qui prend conscience de son importance.

Foncièrement indépendant, Dallaire construit son monde visuel en puisant dans les reflets du cubisme et du surréalisme. Il s’inspire de l’art primitif italien, de la tapisserie médiévale. Klee, Chagall, Dali, le lissier Jean Lurçat avec qui il est en contact, l’attirent.

Si de telles affinités envers des mondes picturaux diversifiés donnent un sens à sa peinture, il faut noter que Dallaire ne cherche pas forcément la cohérence. Il se laisse plutôt prendre par la stimulation de ces univers variés à partir desquels il se lance dans sa propre aventure pour devenir lui-même.

François Dallaire, Autoportrait cubiste (à la pipe), 1938, Fusain et craie brune sur papier Ingres, 55,8 x 48,5 cm, Collection de François Dallaire, Kamouraska

Durant l’occupation, quatre longues années d’internement au stalag de Saint-Denis, en banlieue parisienne, empêchent ce « boursier d’Europe » de parfaire les connaissances qu’il a acquises aux Ateliers d’art sacré auprès de Maurice Denis puis, sous le signe du post- cubisme, auprès d’André Lhote. De retour au Canada en 1946, le peintre s’établit à Québec. Il y enseigne à l’École des beaux-arts jusqu’en 1952. Professeur peu orthodoxe, loin de valoriser ce beau métier qu’il possède à fond, il poussera ses étudiants qui l’apprécient beaucoup sur les voies de l’expérimentation. Placée sous le signe des métamorphoses de l’image, sa peinture fait alors éclore des inventions tour à tour anecdotiques ou savantes. De ses inventions ressortent, aux côtés de personnages teintés de fantaisie, d’inquiétantes effigies chargées d’angoisse, (La Folle, 1952) ou à la recherche de paradis perdus. Ailleurs, l’humour transparaît dans son petit monde de personnages et d’objets que sert une touche pointilliste.

De 1952 à 1958, Dallaire accepte un emploi de dessinateur à l’Office national du film du Canada, d’abord à Ottawa, puis à Montréal. Avec Cadet Roussel, film d’animation réalisé à partir de dessins fixes accompagné de la voix de Félix Leclerc, il gagne de nombreux prix. Dallaire n’en continue pas moins de s’adonner à une production picturale féconde.

À Montréal, il intensifie son œuvre de métamorphoses. Aux côtés de somptueuses natures mortes voisinent des représentations ayant pour moteur la farce et le sarcasme. La charge ludique se prolonge notamment dans les titres. L’ironie, le jeu de mots et les nombreux glissements de significations participent à une certaine entreprise de désacrali­sation de l’œuvre d’art. Peu à peu, le peintre en arrive à une nouvelle économie de moyens. En se stylisant, ses compositions flirtent avec l’abstraction. Faisant danser les signes dans l’espace, Prince Casimir (1957) témoigne de cette épuration. Parfois, la représentation du réel, comme en fragments, semble se déliter.

De retour en France, Dallaire se fixe à Vence en 1958. Sa peinture manifeste alors un unique état d’innocence et de spontanéité. Inondées de lumière, ses toiles dissimulent pourtant, sur un mode gracieux, le vertige et le trouble qui les transportent. Accentuant une dimension symbolique, ces œuvres rejoignent également l’univers de l’enfance et la spontanéité de l’art brut que défend Jean Dubuffet. Ce dernier expose de façon régulière à Vence à la galerie Les Mages animée par Alphonse Chaves. Dallaire s’y manifeste également. Carnavalesque, aérienne et flottante, peuplée d’anges et de créatures poétiques, cette période ultime peut être interprétée comme une méditation sur la fugacité et la fragilité de la vie. Testament autobiographique, le Messager, qu’il termine la veille de sa mort en novembre 1965, en témoigne. Dallaire avait 49 ans.

Hommage à Dallaire : Que la fête commence
Galerie Montcalm 25, Gatineau
Du 9 mai au 14 août 2016

(1) Hélène Legendre-De Koninck, Dallaire, l’indépendant ; Dallaire Exposition rétrospective conservatrice : Michèle Grandbois Musée du Québec du 2 juin au 29 août 1999.